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SURRÉALISME Vue d'ensemble

Il en va du surréalisme comme du classicisme, du romantisme, ou du baroque dans une moindre mesure : ce terme couvre au moins trois espaces de langue et de pensée, qui vont de l'histoire des formes ou des idées (un groupe actif dans la période 1924-1969) à la caractérisation transhistorique (une tendance présente depuis la « bête de Lascaux », pour reprendre le titre de l'ouvrage de Maurice Blanchot, jusqu'au slogan publicitaire contemporain, en passant par Piranèse ou Bosch), et sans qu'on puisse tenir pour rien sa banalisation dans une langue commune, venant désigner tout ce qui est absurde, surprenant ou simplement curieux.

On pourrait estimer que ces trois états du mot marquent l'achèvement du projet même des premiers surréalistes, en faisant passer la subversion littéraire ou picturale, la révolution des mots et des images dans l'espace de la vie et de l'activité humaines envisagées selon leur dimension anthropologique la plus large. Et l'on se gardera, après eux, de négliger l'influence en retour du quotidien, du trivial et du journalistique sur l'inconscient à l'œuvre dans les rêves, l'amour, l'humour et l'imagination. Marx et Freud rejoignent ici Rimbaud pour exiger un changement de vie, non d'esthétique ou de pensée. Ainsi le surréalisme fut-il avant toute forme écrite ou peinte une « pure pratique d'existence », comme le soulignait Maurice Blanchot, « pratique d'ensemble portant son propre savoir, une théorie pratique ».

L'histoire d'une notion n'est pas seulement celle de ses inventeurs, et le surréalisme naît d'une conjonction complexe d'héritages (Lautréamont, Nerval, Jarry, Lewis Carroll), et de revendications (Sade). À cette conjonction inaugurale prennent part Apollinaire, premier utilisateur reconnu du terme, associé dans ce cas à une transposition poétique du réel, et l'influence notable de Pierre Reverdy. Un groupe d'abord informel est issu de la revue d'inspiration dadaïste Littérature (1919-1924), autour d'André Breton, Louis Aragon et Philippe Soupault, et leurs amis Paul Eluard, Benjamin Péret, René Crevel, Robert Desnos, Man Ray, Jacques Baron, Max Ernst, Pierre Unik, Max Morise, Roger Vitrac, Pierre de Massot... Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, le surréalisme désigne pour ce premier noyau certains « automatismes psychiques purs » mis en œuvre par exemple dans Les Champs magnétiques de Breton et Soupault (1919). Deux textes parus dans la revue Commerce en 1922 et 1923, l'un d'Aragon (Une vague de rêves) et l'autre de Breton (Introduction au discours sur le peu de réalité), portent clairement la marque d'une commune prise de distance avec Dada, et d'une ouverture au « surréel ».

Au mois d'octobre 1924 paraît donc le Manifeste du surréalismequi s'ouvre sur ces mots : « Tant va la croyance à la vie, à ce que la vie a de plus précaire, la vie réelle s'entend, qu'à la fin cette croyance se perd ». Breton y définit le surréalisme à la fois comme nom commun (« automatisme psychique pur par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale ») et comme notion : « Encycl. Philos. Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d'associations négligées jusqu'à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée. Il tend à ruiner définitivement tous les autres mécanismes psychiques et à se substituer à eux dans la résolution des principaux problèmes de la vie. » Enfin, il dresse la carte d'un espace collectif, délimité par une série de renversements. Ainsi, le rêve[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences à l'université de Pau et des pays de l'Adour, faculté de Bayonne

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