SUSO (entre 1296 et 1302-1366)
Plus connu en France sous le nom latinisé de Suso, le dominicain Heinrich Seuse suivit d'abord l'exemple des pères du désert ; son tempérament exalté le poussait vers un ascétisme presque morbide ; sous l'influence d'Eckhart, il s'exerça à une spiritualité plus intérieure. Dans un langage apparenté à celui des poètes courtois de son pays, il a chanté une expérience personnelle d'amour mystique où l'abandon et l'absence jouent un rôle essentiel. Suspect un temps d'hérésie, il défendit toujours le véritable eckhartisme contre certaines déformations quiétistes. Béatifié seulement en 1831, Suso se rattache à la tradition de la théologie négative et annonce la « docte ignorance » de Nicolas de Cues ; souvent, il invite à dépasser la logique classique de la non-contradiction, notamment à propos du thème, cher aux mystiques rhénans, de l'unité avec le néant divin.
Le chevalier de la « divine Sagesse »
Heinrich Seuse dit Suso est né au bord du lac de Constance, d'un père au cœur dur, peut-être drapier, et d'une mère plus tendre, à la dévotion exaltée. Âgé de treize ans, il entre au couvent dominicain de Constance ; après cinq années de noviciat, il se voue en chevalier spirituel à la « divine Sagesse » et s'astreint à des austérités. En 1320, ou un peu plus tard, il suit à Cologne l'enseignement spirituel d'Eckhart, qui le marque profondément. Mais, au lieu de viser le titre de docteur et d'aller étudier à Paris, il lit assidûment la vie des saints anachorètes et, dans le cadre de son cloître, tente d'imiter leur ascétique perfection. Encore que son premier ouvrage, le Livre de Vérité, écrit sans doute peu après la condamnation de son maître (1329), distingue avec précision la « fausse liberté » bégarde du véritable dépouillement eckhartien, il semble que, vers 1330, un chapitre de son ordre, tenu aux Pays-Bas (celui d'Utrecht ou celui de Maestricht), ait suspecté Seuse d'« hérésie ». Dans cette injustice le jeune religieux vit une grâce de la Sagesse, qui accable toujours ceux qu'elle a choisis comme ses vrais serviteurs. Son évolution spirituelle le détermine alors à jeter dans le Rhin ses instruments de mortification, à chercher une forme de mystique plus intérieure. Les temps sont durs (querelle entre l'empereur et le pape, grandes épidémies) ; partout s'organisent des groupes de pieux laïcs qui se nomment « amis de Dieu ». C'est dans ce milieu que, pour une part, les disciples d'Eckhart pratiquent la direction de conscience, mais aussi parmi les religieuses dominicaines. L'une d'elles, Elsbeth Stagel, du couvent suisse de Töss, s'est beaucoup attachée à Seuse ; c'est elle qui probablement rédigera sa Vie, non sans l'agrémenter de quelques pieuses légendes. De la Suisse à la basse vallée du Rhin, le prédicateur voyagera de cloître en cloître. Le nombre et l'enthousiasme de ses filles spirituelles alimentent, bien entendu, les calomnies, au point que ses supérieurs l'envoient finir ses jours au couvent de Ulm.
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Écrit par
- Maurice de GANDILLAC : professeur émérite à l'université de Paris-I
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