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CITRON SUZANNE (1922-2018)

L’historienne Suzanne Citron a profondément marqué l’historiographie du xxe siècle par sa trajectoire personnelle, sa démarche intellectuelle ainsi que par son engagement politique. Elle est en particulier connue pour avoir montré et critiqué la construction du « mythe national ».

Née le 15 juillet 1922 à Ars-sur-Moselle (Moselle) et élevée dans le XVIe arrondissement de Paris, Suzanne Grumbach grandit dans une famille de la bourgeoisie israélite détachée de toute tradition juive, selon ses mots, et très impliquée dans la défense de la mémoire dreyfusarde. En 1940, elle est profondément choquée par la faillite morale de la IIIe République. La remise par les députés des pleins pouvoirs au maréchal Pétain fait naître en elle une conscience historique et politique façonnée par l’esprit de résistance qui ne la quittera plus. Réfugiée à Lyon avec sa mère et ses sœurs en août 1942, elle se convertit au protestantisme, milite au sein de la Fédération française des associations chrétiennes d’étudiants et s’inscrit en licence d’histoire. Après avoir été marquée au lycée Molière par les cours d’histoire-géographie de Marguerite Glotz, elle suit notamment l’enseignement de l’historien chrétien et résistant Henri-Irénée Marrou. Dans Mes lignes de démarcation (2003), elle se souvient du 25 juin 1944, lorsqu’elle est arrêtée, puis incarcérée quelques jours plus tard à Drancy, où elle parvient de justesse à éviter la déportation. Après la Libération, grâce à son grand-père magistrat, elle assiste au procès de Pétain : c’est la résistance et la vigilance face aux instrumentalisations du passé qui, désormais, guideront ses actions. En 1947, elle passe l’agrégation d’histoire.

Proche de la gauche chrétienne, engagée en faveur de l’anticolonialisme, elle prend position pour l’appel de Stockholm contre les armes atomiques (1950). Elle épouse le musicologue Pierre Citron avec qui elle a quatre enfants en six ans, puis enseigne pendant plus de vingt ans l’histoire-géographie au lycée d’Enghien-les-Bains (Val-d’Oise). Ses ouvrages L’École bloquée (1971) ou Enseigner l’histoire aujourd’hui. La mémoire perdue et retrouvée (1984) et ses nombreux articles publiés dans les Cahiers pédagogiques ou dans les quotidiens nationaux témoignent de sa révolte devant les inégalités scolaires et les tabous d’un enseignement modelé par les légendes du roman national, ses grands héros et sa France éternelle.

La guerre d’Algérie (1954-1962) suscite de nouveau son insoumission. La résurgence de la raison d’État lui rappelle les injustices de l’affaire Dreyfus. Quant aux révélations du colonialisme, elles lui font prendre conscience des mensonges du roman national. Avec d’autres intellectuels et militants comme les historiens Henri-Irénée Marrou ou Pierre Vidal-Naquet, elle dénonce la torture. À ses élèves, elle enseigne les violences coloniales commises sous la IIIe République, au nom de la mission civilisatrice. Adhérente du Parti socialiste unifié (PSU) puis du Parti socialiste (PS) en 1974, dont elle nourrit la réflexion sur l’école et la pédagogie, Suzanne Citron est adjointe au maire de Domont (Val-d’Oise) de 1977 à 1983, où elle habite depuis longtemps. Elle s’éloigne du PS, dont elle trouve la politique scolaire trop timorée, en particulier après le retrait de la loi Savary, en 1984, qui avait tenté d’intégrer les écoles privées dans un grand « service public unifié de l’Éducation nationale ». Par ailleurs, s’étant vue refuser la qualification de sa thèse (soutenue en 1974) consacrée aux associations corporatistes de l’enseignement de l’histoire, elle se tourne vers les sciences de l’éducation, qu’elle enseignera pendant onze ans à l’université Paris-XIII Villetaneuse.

C’est en 1987, dans Le Mythe national, qu’elle livre son héritage principal[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en histoire moderne à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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