Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ALEXIEVITCH SVETLANA (1948- )

Un portrait social et existentiel

En choisissant de toucher aux points névralgiques de l’U.R.S.S. du xxe siècle, comme dans son choix et sa présentation des témoignages, Svetlana Alexievitch ne prétend pas à la neutralité. Elle dénonce un État qui dévore ses sujets, l’incurie d’un pouvoir qui envoie à une mort presque certaine des soldats non préparés, mal équipés, des liquidateurs à peine protégés. Un État qui n’assume pas les conséquences de la disparition des structures sociales qui étaient les siennes et ne prend aucun soin des personnes lésées par l’effondrement du régime (qu’il s’agisse de simples retraités, de réfugiés ou de tout un chacun).

Au-delà de la critique sociale, c’est à l’être humain que s’intéresse Alexievitch, sans formuler pour autant de condamnation par rapport à la faiblesse des individus qu’elle croise, capables du meilleur comme du pire, lequel n’est jamais épargné au lecteur. L’empathie de l’auteur, qui signale parfois, dans ses interventions rares et discrètes, qu’elle pleure avec la personne qui raconte, place le récit dans le registre de l’émotionnel. Elle permet au lecteur de se glisser dans la peau des personnes interviewées et de ressentir de l’intérieur l’éventail très large de leurs sentiments : leur enthousiasme pour leur patrie, le désir de la défendre et de porter les valeurs soviétiques, la fierté d’être soviétique, l’héroïsme, aussi, puis la déception, le désenchantement, l’humiliation, la violence et la folie. Le lecteur vit par procuration la transformation de zélateurs du régime et de jeunes enthousiastes en machines à tuer ou en victimes impuissantes.

Le très grand succès que rencontrent les ouvrages de Svetlana Alexievitch montre que les témoignages sans tabous et la libération de la parole individuelle, au-delà de leur portée informative, ont un grand pouvoir de fascination sur le lecteur. À travers eux, il lui est permis de s’approcher au plus près de l’âme humaine et de sa souffrance.

— Hélène MÉLAT

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : maître de conférences en littérature et culture russes, Sorbonne université

Classification

Média

Svetlana Alexievitch, "romancière des voix" - crédits : Ulf Andersen/ Getty Images

Svetlana Alexievitch, "romancière des voix"

Autres références

  • LA SUPPLICATION (S. Alexievitch) - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 720 mots
    • 1 média

    Tchernobyl est située en Ukraine, à 40 kilomètres de la frontière sud de la Biélorussie, à 135 kilomètres de Gomel (Biélorussie), à 150 kilomètres de Kiev (Ukraine), à plus de 800 kilomètres de Moscou (Russie) et à près de 2 500 kilomètres de Paris. Le 26 avril 1986, lorsque le réacteur de la...

  • RUSSIE (Arts et culture) - La littérature

    • Écrit par , , , et
    • 23 999 mots
    • 7 médias
    ...Récits afghans (Afganskierasskazy,1989) et Le Signe de la bête (Znakzverja,1992), où l’horreur cède parfois à la poésie, et par la Biélorusse Svetlana Alexievitch dans Les Cercueils de zinc (Cinkovyemal'čki, 1990), ouvrage constitué d’interviews formant une polyphonie de témoins ou d’acteurs...