NOMBRES SYMBOLIQUE DES
De nombreuses études d'ethnologie comme de philosophie comparée, d'histoire des religions comme de psychologie des profondeurs ont montré que la pensée dite « sauvage » comme la connaissancesymbolique présentent une compréhension qualitative du nombre. Cette compréhension expliquerait, semble-t-il, la préséance des nombres dits « naturels » sur toute autre structure arithmétique. Dans de telles modalités de pensée, l'aspect quantitatif n'est pas négligé, mais il a d'emblée une vocation au concret (par exemple, savoir dénombrer globalement une classe d'objets, telles les têtes de bétail composant un troupeau). Au contraire, c'est l'aspect qualitatif de la numération qui semble y jouer le rôle de vecteur d'une méditation abstraite. C'est probablement en ce sens qu'il faut comprendre les ensembles plus ou moins complexes de points ou de croix, de flèches, de chevrons, de quadrillages, etc., que présentent de nombreux tracés, entailles ou reliefs pariétaux. André Leroi-Gourhan a montré ainsi comment de telles figures s'inscrivaient dans une logique symbolique, articulée à partir de l'opposition masculin-féminin. Grande peut être la tentation de réduire l'attitude mentale correspondant à une telle compréhension symbolique du nombre, à un simple « primitivisme » de la pensée abstraite. Or, nous savons, depuis les travaux d'anthropologues, tel Claude Lévi-Strauss, que la « pensée sauvage » est bien articulée sur les mêmes principes d'organisation systémique (oppositions, catégories, schèmes algébriques et combinatoires, repères, classes, etc.) que toute pensée épistémiquement bien formée. Bien plus, depuis les travaux de Carl Gustav Jung sur la dimension de l'inconscient qu'il a nommé « collectif », nous savons que l'être humain des sociétés occidentales contemporaines, en situation de connaissance de soi (par exemple, par un processus analytique de psychologie des profondeurs), retrouve spontanément de tels schèmes numériques qualitatifs lorsqu'il laisse parler, dessiner ou rêver sa conscience imaginante. Ainsi, les schèmes quaternaires (une double dyade, un ternaire plus une unité, un ensemble à quatre éléments ou toute autre disposition symbolique de base quatre) n'apparaissent comme symboliquement signifiant à un sujet que passé certains seuils psychiques d'individuation. Jung a bâti toute son œuvre pour tenter de montrer les conditions d'apparition spontanée, et les effets métapsychologiques, de tels schèmes numériques ainsi que leur géométrie symbolique (figurative ou abstraite) correspondante.
C'est dans l'œuvre de Platon, influencée par la pensée pythagoricienne, qu'en Occident les nombres apparaissent pour la première fois dans leur féconde ambivalence, comme porteurs à la fois des structures arithmétiques et géométriques et d'une dimension proprement symbolique. Plusieurs commentateurs (notamment L. Robin) ont montré que, dans son enseignement oral, Platon avait probablement placé un niveau d'archétypes ontologiquement premiers par rapport aux idées. Dans le Timée, ce niveau des figures-archétypes et des nombres-archétypes forme l'ordre éternel antérieur à toute création. Tous les archétypes y sont coexistants. Ne pouvant les faire passer ensemble dans sa création, le démiurge est contraint de les articuler selon un ordre de préséance. De cet ordre procède le temps comme « image mobile de l'éternité », image isomorphe à la succession des nombres naturels ainsi qu'aux figures symboliques qui leur correspondent. Les néoplatoniciens, et surtout Proclos par sa « monadologie », vont développer ces thèmes pythagoriciens du platonisme en tentant de comprendre les nombres symboliques (monade, dyade, triade, tétrade, etc.) comme l'expression ultime du mouvement transformel[...]
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Écrit par
- Alain DELAUNAY : chercheur au Collège international de philosophie
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