SYMBOLIQUE
Élaboration du symbolique
Pour inventorier l'ordre symbolique, surtout pour évaluer la « prise du symbolique », il faut mettre en relation l'œuvre lacanienne – inspirée des linguistiques saussurienne et jakobsonienne – avec l'entreprise du philosophe Ernst Cassirer, ce dernier passant pour avoir donné une théorie qui ferait du symbolique une raison préfreudienne (cf. l'article intitulé « La Raison avant Freud », in Scilicet). En effet, avec le parti pris de ne traiter langage, mythe, art et connaissance que « dans la mouvance des opérations du je », Cassirer emprunte à son linguiste de référence le sens du terme « forme ». En fait, dans son ouvrage De l'origine des formes grammaticales et de leur influence sur le développement des idées, Humboldt donne très explicitement pour caractère essentiel à la forme l'unité, avec la prédominance du mot originaire sur les sons accessoires surajoutés, et sous l'influence d'une pensée qui inspire la forme, la langue devant être « symbole en tout ». Aussi bien, entre la critique de la Raison pure opérée par Kant et la critique de la culture symbolique entreprise par Cassirer, il faut logiquement et phénoménologiquement intercaler le terrain linguistique tel que W. von Humboldt le privilégia dans un débat avec Kant, d'où il avait tiré la nécessité de considérer la représentation comme la mise en scène d'une idée dans une image, selon le sens du terme allemand Darstellung. À partir de là, Cassirer voit à son tour, dans les différentes langues humaines, une interprétation du monde liée à chacune d'elles selon sa forme interne ou idiosyncrasique. Dès lors – et bien qu'on lui ait reproché de ne pas faire la distinction – est symbole pour Cassirer aussi bien le signe (ou le symbole) mathématique que le symbole mythique, en tant que chacun est vecteur de signification (ou de sens ? – là non plus, la distinction n'est pas faite). Donc, comme von Humboldt, Cassirer adopte un point de vue anthropologique à l'égard de la langue, laquelle est structurellement caractérisée par ses moyens propres à exprimer les relations, d'abord spatiales, ensuite temporelles et numériques. Chaque langue comporte dans ces domaines différents un style et un système propres. Et des désignations spatiales sont souvent à la base de relations idéelles. Car les relations temporelles sont moins courantes et moins universelles, moins différenciées et, le plus souvent, énoncées aussi sur le support des déterminations spatiales. L'intuition des objets dépend donc du langage, qui fournit la base nécessaire à l'édification d'un système numérique, le développement des concepts scientifiques étant solidaire des ressorts schématiques d'une langue. Les points de vue spatial, temporel et numérique de l'intuition des objets sont permis par la constitution de la langue. Et le concept de nombre est impliqué dans le plus élémentaire système de numération, par exemple dans celui des langues primitives, qui se trouvent limitées, en la matière, non par leur incapacité à abstraire mais par leur aptitude à de plus fines différenciations qualitatives.
Ainsi la langue fonde-t-elle la « substruction » (Grundgerüst) de la représentation du monde. Évaluant les termes du point de vue de leur efficacité conceptuelle, Cassirer n'oublie pas les leçons de von Humboldt sur la grammaire et la syntaxe : un terme linguistique formant le signe caractéristique d'un rapport grammatical est une forme grammaticale, et celle-ci ne peut être conçue et comprise que par son idée logique, nous dit von Humboldt. Les formes grammaticales abondent dans les langues à flexion, favorisant le développement de la pensée abstraite. Cassirer sera, de même, attentif à l'articulation plus ou moins grande des différentes langues. Abordant le mythe, il en analyse[...]
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Écrit par
- Angèle KREMER-MARIETTI : docteur d'État ès lettres et sciences humaines, maître de conférences de philosophie à l'université d'Amiens
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