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SYMBOLISATION, physique

La physique entretient avec l'écriture un rapport particulier. Il suffit pour s'en convaincre de feuilleter un manuel ou une revue de recherche, où des paragraphes écrits en langue ordinaire alternent avec des lignes de symboles mathématiques. C'est bien par cette relation particulière à la mathématique que la physique se singularise. Elle est la seule science de la nature qui entretienne avec la mathématisation une relation véritablement constitutive et pas uniquement instrumentale : les mathématiques sont pour la physique, non un simple outil, mais la forme même de sa conceptualisation.

Naissance d'un langage mathématique

On connaît la très célèbre citation de Galilée, dans L'Essayeur (1623) : « La philosophie est écrite dans ce livre gigantesque qui est continuellement ouvert à nos yeux (je parle de l'Univers), mais on ne peut le comprendre si d'abord on n'apprend pas à comprendre la langue et à connaître les caractères dans lesquels il est écrit. Il est écrit en langage mathématique, et les caractères sont des triangles, des cercles, et d'autres figures géométriques, sans lesquelles il est impossible d'y comprendre un mot. » La philosophie dont parle Galilée est évidemment la philosophie naturelle – qui va devenir notre physique. La grande nouveauté de ce texte ne réside pas dans l'image du monde comme livre, qui remonte au Moyen Âge. Mais l'idée des « caractères » mathématiques, elle, est totalement originale, et aussi paradoxale. Car l'assimilation des figures aux caractères et de la géométrie au langage est pour le moins sujette à caution. S'il est vrai que les textes de la physique du xviie siècle, et ceux de Galilée pour commencer, sont abondamment illustrés de schémas géométriques, on ne saurait considérer ces tracés eux-mêmes comme appartenant au texte, ni leurs éléments (cercles, triangles, etc.) comme des « caractères ». Chez Newton encore, dans les Principia Mathematica (1687), la physique se fera more geometrico, à la façon des géomètres, à l'aide de mots, appuyés sur des figures sans doute, mais non dans un langage mathématique original. Comment d'ailleurs en irait-il autrement, puisque, pour l'essentiel, outre l'arithmétique, les mathématiques se réduisent encore à la géométrie ?

Mais, avec Descartes, la géométrie elle-même va progressivement s'algébriser, c'est-à-dire se littéraliser. La fin du xviie siècle, avec Newton justement et surtout Leibniz, verra la révolution du calcul infinitésimal (différentiel et intégral) qui transforme profondément le rapport des mathématiques et de la physique à l'écriture. Leibniz est d'ailleurs à l'origine de la plupart des symboles qui vont permettre une véritable écriture mathématique, à la fois autonome et intégrée au discours. Ces symboles seront souvent des lettres de l'alphabet, mais dotées d'une signification largement indépendante de leur seule valeur orthographique, ou encore des signes originaux, inventés ad hoc. Dès les années 1700, Varignon récrit les Principia newtoniens dans le nouveau formalisme. Le xviiie siècle parachèvera la mutation qui va transformer les écrits de physique, dorénavant non plus textes de langue parsemés de figures (hors-texte), mais suites continues de phrases et de formules, voire, à l'échelle locale, de mots et de signes qui, indissolublement, constituent le texte.

Encore faut-il tenter d'éclairer plus précisément la nature de ces signes. Quand Galilée formule son programme, les « caractères » (géométriques) qu'il convoque peuvent être considérés comme des pictogrammes, représentatifs de la réalité qu'ils désignent : les triangles et les cercles renvoient directement aux choses du monde, et figurent les formes des objets solides ou les trajectoires des mobiles. Mais les caractères littéraux[...]

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