SYMBOLISME Arts
Un ensemble de refus appuyé sur des références culturelles
C'est à partir de ces quelques faits précis et de ces textes fondamentaux qu'on peut tenter de cerner le phénomène symboliste. S'il faut le définir, c'est d'abord par ses refus. Refus du matérialisme, du positivisme, refus d'une société que le « progrès » scientifique enlaidit et dégrade ; opposition à ses thuriféraires, qui la justifient scientifiquement ou philosophiquement ; rejet des esthétiques qui célèbrent le culte de cette réalité. Courbet déclarait : « Je tiens la peinture pour un art essentiellement concret qui ne peut consister que dans les représentations des choses réelles et existantes ; c'est une langue toute physique qui se compose pour moi de tous les objets visibles. Un objet abstrait non visible, non existant n'est pas du domaine de la peinture. » On ne saurait mieux indiquer, a contrario, ce qui rassemble les artistes symbolistes. Aurier fonde sa Préface pour un livre de critique d'art sur une vigoureuse réfutation de Taine et conclut : « Devenons les mystiques de l'art. » Pour lui rendre hommage, Louis Dumur prend Zola à partie. C'est la condamnation convergente des esthétiques réaliste et naturaliste, pour laquelle tout recours à la tradition idéaliste et mystique est bon : de Swedenborg à Schopenhauer, en passant par Schelling et Hegel, et en s'appuyant sur des livres tout récents et aussi différents pourtant que l'Essai sur les données immédiates de la conscience de Bergson et Les Grands Initiés de Schuré (1889). Il faut se souvenir alors que Degas parlait de la première exposition impressionniste (1874) comme d'un « Salon réaliste » pour comprendre que l'opposition s'étende aussi à ce mouvement dont la dernière manifestation, en 1886, a marqué les limites et la prochaine dissolution. L'impressionnisme est un réalisme, singulièrement étroit même, puisqu'il ne reconnaît que les réalités visuelles. Ils « cherchèrent autour de l'œil, dit Gauguin, et non au centre mystérieux de la pensée, et de là tombèrent dans des raisons scientifiques ». Dans une formule célèbre significativement transmise par Sérusier, Redon juge l'impressionnisme « trop bas de plafond » ; mais des textes moins souvent cités et moins épigrammatiques sont aussi plus explicites : « Les plus beaux ouvrages de ces ouvriers ne vaudront jamais en qualité le moindre griffonnement d'Albert Dürer, qui nous a légué sa pensée même, la vie de son âme. » Et au sortir de l'exposition impressionniste de 1880, Odilon Redon commente : « Je ne crois pas que tout ce qui palpite sous le front d'un homme qui s'écoute et se recueille, je ne crois pas que la pensée prise pour ce qu'elle est en elle-même ait à gagner beaucoup dans ce parti pris de ne considérer que ce qui se passe au-dehors de nos demeures. L'expression de la vie ne peut différemment paraître que dans le clair-obscur [...]. Tout bien considéré, ces peintres estimables ne sèmeront pas dans le riche domaine de l'art des champs bien féconds. L'homme est un être pensant [...]. L'homme sera toujours là dans le temps, dans la durée, et tout ce qui est de la lumière ne saurait l'écarter, l'avenir au contraire est au monde subjectif. » Là encore, si Redon ne s'était volontairement tenu à l'arrière-plan, ces lignes auraient pu prendre valeur de manifeste. Aurier, enfin, qu'on aurait tort de croire fermé à tout ce qui n'est pas symboliste et qui, s'il n'était mort prématurément, aurait sans doute été le critique le plus remarquable de la fin du siècle, consacre en 1892 un article enthousiaste à Monet, mais regrette « ce parti pris de plonger les êtres dans ces atmosphères si splendidement embrasées qu'ils semblent s'y vaporiser » et souhaite « un art moins immédiat, moins directement sensationnel, un art de rêve plus lointain et d'idée[...]
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Écrit par
- Jean-Paul BOUILLON : professeur d'histoire de l'art moderne et contemporain à l'université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand
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