SYMBOLISME Arts
Équivoque fondamentale et contradictions de l'entreprise symboliste
Au-delà de ces données générales, de ces refus communs, il serait vain de masquer les contradictions, les oppositions, les antinomies qui surgissent à chaque pas. La notion même de symbolisme figuratif implique une opposition fondamentale entre l'idée d'image et celle de forme, source d'innombrables contradictions, de la part des peintres comme de leurs exégètes. Redon est partisan d'un art de l'âme et des idées, mais n'en condamne pas moins l'extrémisme de Carrière qui « s'est vanté de n'avoir jamais voulu peindre, et qui reste indifférent à la peinture elle-même. Il se dit visionnaire jusqu'à pouvoir extraire une expression humaine d'un caillou, non d'un visage. Aucun peintre n'admettra cela ; moi moins que tout autre », d'où cette déclaration étonnante pour celui qui jugeait l'impressionnisme « bas de plafond » : « J'aimerais mieux proclamer avec Pissarro que l'art de peindre réside, pour qui sait voir, au coin d'une table, dans une pomme. » Contradiction encore entre un sujet qui relève tout aussi bien de la littérature et les problèmes d'expression spécifiquement plastique. La question a beaucoup préoccupé Redon aussi bien que Maurice Denis, et l'un et l'autre, malgré leur refus du « pittoresque » et leur attirance pour l'expression des idées, se sont vivement défendus de tomber dans la littérature ; leurs déclarations à ce sujet sont la condamnation implicite de plus d'un adepte de la Rose-Croix. « Il y a idée littéraire toutes les fois qu'il n'y a pas invention plastique », écrit Redon, qui ajoute : « Dans une composition littéraire, nulle impression produite. L'effet réside uniquement dans les idées qu'elle fait naître et qui se produisent surtout par le souvenir. Il n'y a pas alors d'œuvre d'art réelle ; un récit vaut mieux ; c'est de la pure anecdote » ; et plus loin : « Une pensée, ça ne peut pas devenir une œuvre d'art, sauf en littérature. L'art n'emprunte rien à la philosophie non plus. » Denis réagit tout aussi vivement à « ce temps littéraire jusqu'aux moelles, raffinant sur des minuties, avide de complexités », et constate : « Dans toutes les décadences, les arts plastiques s'effeuillent en affections littéraires et en négations naturalistes ». Là encore, il convient donc d'écarter trop d'idées préconçues sur la « décadence » et la « littérature » des symbolistes.
Quant au symbole même, il faudrait se garder d'en donner une définition trop précise si l'on ne veut pas voir se dissoudre toute idée d'un mouvement symboliste. Puvis lui-même, l'une des idoles des jeunes peintres, n'est-il pas souvent beaucoup plus allégorique que symbolique ? Malgré l'admiration qu'il lui porte, Gauguin a bien marqué cette différence : « Puvis intitulera un tableau Pureté et, pour l'expliquer, peindra une jeune vierge avec un lis à la main, symbole connu ; donc on le comprend. Gauguin, au titre Pureté, peindra un paysage aux eaux limpides. » Inversement Puvis lui-même se défendra d'avoir cherché délibérément le moindre symbolisme.
Enfin, comme il a déjà été indiqué, il n'est pas possible de pratiquer des oppositions simplistes entre « le siècle » et des symbolistes qui seraient entièrement retirés du monde, avides de mystère et hostiles à toute idée de science. Pour Fénéon, ce « Pascal du symbolisme » selon Anatole France, le grand peintre symboliste est Seurat, et il s'acharne à commenter l'esthétique « scientifique » de celui qu'il appelle « un Puvis modernisant ». On retrouve ici cette approche mystique de la science, alliée de l'art dans un temps et un monde nouveaux à venir qu'avait parfois[...]
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Écrit par
- Jean-Paul BOUILLON : professeur d'histoire de l'art moderne et contemporain à l'université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand
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