SYMBOLISME Littérature
« Symbolisme » revêt couramment deux acceptions dans l'histoire de la littérature : d'une part, enseigne adoptée par des poètes de langue française en 1886, il désigne formes et formules de l'invention littéraire pendant une dizaine d'années. Ses valeurs esthétiques, comme le montre Michel Décaudin dans La Crise des valeurs symbolistes, sont mises en cause en France dès le début de la décennie suivante par quelques-uns de leurs initiateurs mêmes. Sans doute l'étonnant laboratoire d'innovations qu'a été le symbolisme a fait sentir ses effets jusque dans le xxe siècle chez Barrès, Gide, Claudel, Valéry, dont les œuvres seraient peu compréhensibles sans, notamment, Mallarmé. Par analogie, les historiens acceptent d'étendre le mot à des mouvements généralement postérieurs qui se produisent en Europe et portent parfois d'autres noms, mais dont la parenté avec le symbolisme de France et de Belgique est affirmée. Ils laissent entendre ainsi que le mouvement gagne progressivement toute la littérature occidentale. Ce n'est qu'approximativement vrai, d'abord parce que, dès l'origine, le symbolisme français se réfère très explicitement à des littératures étrangères ; ensuite parce que Russes, Allemands, Anglais ou Hispano-Américains, en des moments et des pays divers, font entrer dans leur « symbolisme » bien autre chose encore que l'influence de Paris.
De là une seconde acception du mot symbolisme : au lieu de désigner un phénomène français bien daté, qui « gagne » de pays en pays, le terme peut recouvrir un projet et une situation littéraires que des écrivains de langues différentes ressentaient comme communs. Or qu'est-ce que le symbolisme ? On compose des anthologies de définitions suggestives et diverses : « Le symbolisme c'est »... la poésie reprenant à la musique son bien (Mallarmé, Valéry)... l'expression de l'individualisme dans l'art (Remy de Gourmont). Qu'y a-t-il de commun entre Jules Laforgue, Maeterlinck, Alexandre Blok, Stefan George, Rubén Darío ? Peut-être l'idée que rien n'existe, dans l'espace et dans le temps, que par la destination d'être transposé en art, que l'art est l'effort de l'homme pour sentir le rythme de sa vie, et que l'artiste, le plus primitif et le plus extrêmement civilisé des hommes, le plus singulier et le plus collectif des êtres, est chargé d'accomplir l'origine. À ce degré de généralité, le symbolisme peut intégrer aussi bien le roi Salomon qu'Homère ou Eschyle. Comme le classicisme ou le romantisme. Le baroque ou le réalisme. En admettant qu'on lui reconnaisse cette force d'intégration, il faut comprendre d'où elle lui est venue, et d'abord étudier la constitution du système littéraire symboliste dans les années 1880.
Constitution d'un système littéraire
Un système littéraire est constitué par le sentiment que s'articulent entre elles, de manière cohérente et convaincante, quatre représentations : une image de ce qu'est un auteur, une image du public, une image de l'œuvre et enfin la représentation de ce qui les qualifie toutes trois, et les garantit comme exprimant la condition faite à la littérature en une époque donnée. Écrivains et lecteurs peuvent adhérer ou croire se soustraire à ce système, il s'impose pourtant aux acteurs de l'innovation littéraire, jusqu'aux éditeurs, aux clients des librairies, et il se confond rarement avec les idées d'un homme ou d'une école : l'école romane, déclarée par l'auteur du Manifeste symbolistede 1886, Jean Moréas, ne suffit pas à instaurer un système nouveau, et, si ce qu'on nomme symbolisme a pu régir l'invention littéraire pendant quelques années, c'est moins comme un corps de doctrines, d'[...]
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Écrit par
- Pierre CITTI : docteur d'État, ancien élève de l'École normale supérieure, professeur de littérature française à l'université de Tours
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