SYMBOLISME Littérature
La fin du système littéraire symboliste en France
La fin du système littéraire ne marque pas celle du symbolisme. L'imagination du rythme comme mode de concordance entre l'être et la représentation poursuit sa carrière non seulement chez un Claudel ou un Barrès, mais chez Romain Rolland, Péguy ou Segalen. Le Mercure de France continue de jouer un rôle actif. En revanche, le système se défait, en trois étapes. Une première poussée a lieu avec Sous l'œil des barbares, dès 1888. Barrès propose de remplacer le destinataire idéal du symbolisme par un public nouveau : celui des jeunes gens. D'abord, cette substitution paraît renforcer le symbolisme, mouvement de jeunes, novateur et volontiers provoquant ; en fait, elle va bientôt créer les conditions d'un dialogue littéraire particulièrement nourri entre les écrivains qui se disputent la voix de ce nouveau lecteur intentionnel : l'être en formation.
Ensuite, aux deux premiers volumes du Culte du moi, Bourget, qui négocie là un remarquable virage littéraire, répond par Le Disciple (1889), qui tend aux auteurs contemporains le miroir de leur responsabilité. La fable d'un philosophe matérialiste (inspiré de Taine) sans élèves, auquel un disciple inconnu expédie le récit de sa vie et de son crime, explicite une des contradictions du système littéraire des années 1880 : si la vie de la pensée et de l'art est la vie même, il est coupable qu'elle reste étrangère à la vie réelle et à l'action. Adressé « à ceux qui ont vingt ans », Le Disciple enjoint aux écrivains, en leur rappelant d'ailleurs un fait-divers récent (le procès Chambige), de se reconnaître responsables. Tout dans le livre est faux, de là sa force : Bourget n'attaque pas en apparence les écrivains symbolistes, mais leur fondamentale représentation de l'auteur. Celui-ci ne saurait être, ou longtemps demeurer, un marginal. Écrire est un acte, la lecture une action.
Une controverse s'élève alors autour du Disciple en 1890 et encore en 1891, nourrie par Le Jardin de Bérénice de Barrès, qui approfondit considérablement la question, ainsi que par toute une série d'articles où les découvreurs du roman russe (Eugène Melchior de Vogüé, Rod) bataillent avec d'anciens parnassiens. La production littéraire s'oriente de plus en plus vers la discussion de questions morales. Le personnage régnant des romans, qui était l'artiste, se peint dans les années 1890 en jeune homme (Barrès, Gide), voire en enfant (dans Sébastien Roch de Mirbeau, 1890, ou dans les romans d'Édouard Estaunié).
S'impose alors une garantie littéraire nouvelle – garantie de responsabilité dont la pression se fait sentir par les résistances même que lui opposent un Renard dans son Journal, un Gide dans la Préface de L'Immoraliste. Le romancier est sommé de conclure – et Barrès, en 1897, présente explicitement Les Déracinés comme un roman à thèse. Les poètes « naturistes » chantent « l'effort », la « vie », l'accord de l'âme et de la nature. Pour le jeune Péguy, il va de soi que les écrivains sont responsables, et c'est dans cette conviction devenue générale que l'Affaire Dreyfus les mobilisera. Qu'on trouve encore dans Les Nourritures terrestres, dans Barrès, dans Claudel d'innombrables thèmes symbolistes est indéniable, mais le système littéraire, lui, ne repose plus sur les mêmes valeurs ni sur les mêmes représentations. Le dialogue que Jean de Tinan (1874-1898) et les jeunes gens de 1895 entretiennent avec leurs aînés met en scène, comme situation maîtresse (sarcastique ou pathétique), le rapport du disciple et du maître, du texte à la vie, de l'œuvre d'art à l'action. Garantie de responsabilité, exigence que l'œuvre littéraire réponde à une « question » morale ou sociale – ou du moins la pose –, portrait du lecteur[...]
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Écrit par
- Pierre CITTI : docteur d'État, ancien élève de l'École normale supérieure, professeur de littérature française à l'université de Tours
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