SYMBOLISME Théâtre
La scène et la vision
C'est surtout pour son renouvellement du langage scénique que le théâtre symboliste revêt une importance historique incontestable. D'abord pratiqué et théorisé par des poètes – et au premier chef, par Paul Fort, fondateur du Théâtre d'Art en 1890 –, il revendique un retour à la littérature au détriment de la matérialité de la scène. Dans son important manifeste du théâtre symboliste, « De l'inutilité absolue de la mise en scène exacte » (1891), Pierre Quillard pose ainsi les fondements de la théâtralité symboliste : « On s'est fié à la parole pour évoquer le décor et le faire surgir en l'esprit du spectateur, comptant obtenir par le charme verbal une illusion entière. » À ce refus de l'exactitude du décor s'ajoute une méfiance à l'égard de l'acteur, comme en témoigne Maeterlinck : « Quelque chose d'Hamlet est mort pour nous, le jour où nous l'avons vu mourir sur scène. Le spectre d'un acteur l'a détrôné, et nous ne pouvons plus écarter l'usurpateur de nos rêves ! » Les écrivains symbolistes exigent de la scène qu'elle se fasse la plus discrète possible pour ne pas gêner l'émergence d'une vision poétique directement issue de la littérature ; la scène restera hantée par le théâtre de la lecture prôné par Mallarmé : « Avec deux pages et leurs vers, je supplée, puis l'accompagnement de tout moi-même, au monde ! ou j'y perçois, discret, le drame ». C'est ainsi que le Théâtre d'Art repense la théâtralité à partir de la « récitation poétique », où l'acteur, statique, se place devant une simple toile de fond. Le paradoxe de cette tentative est qu'elle va inventer un nouvel art du décor extrêmement élaboré, dans le moment même où elle cherche à s'en débarrasser : grande nouveauté au théâtre, les jeunes peintres du groupe des Nabis, Maurice Denis, Vuillard, Ranson, Bonnard et Ibels, vont collaborer avec la scène symboliste ; ils y développent un art décoratif et ornemental en vertu duquel la toile peinte se constitue en métaphore du poème. Si chaque nouvel élément scénographique inventé par les Nabis vise la déréalisation de la scène, il propose en échange un langage plastique révolutionnaire, visant à faire surgir une théâtralité spectrale. Ainsi le Théâtre d'Art, puis le Théâtre de l'Œuvre fondé en 1893 par Lugné-Poe, engagent un travail nouveau sur la pénombre et la couleur des éclairages. La déformation visuelle qui en résulte peut être encore accentuée par l'emploi d'un rideau de gaze verte, fixé à l'avant-scène comme un écran mystérieux entre le monde du réel qu'est la salle et le monde du poème qu'est la scène (Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck, 1893). Les comédiens, ainsi placés dans la pénombre, doivent rester devant la toile peinte et n'accomplir que des déplacements lents et latéraux, ainsi que des marionnettes, devenant à leur tour des motifs picturaux saisis dans l'image scénique globale. L'analogie avec le théâtre de marionnettes est parfois accentuée par la nette séparation entre la pantomime des acteurs sur scène et le texte proféré par des récitants sur le proscenium ou dans la fosse d'orchestre (La Fille aux mains coupées de Pierre Quillard, 1891 ; La Gardienne de Henri de Régnier, 1894). Pour le répertoire scandinave présenté au Théâtre de l'Œuvre, Lugné-Poe et Vuillard proposent un décor plus mimétique, référant sans ambiguïté à des salons bourgeois, mais soumis à un travail insolite sur les couleurs, notamment le vert et le rouge supposés « mettre en rêve » l'espace. Contrairement à Georgette Camée, l'égérie du Théâtre d'Art à la voix mélodieuse et souple, Lugné-Poe développe un jeu spectral, où il se met lui-même en scène comme une ombre[...]
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Écrit par
- Mireille LOSCO : maître de conférences à l'université de Grenoble-IV-Stendhal
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