SYMÉON LE NOUVEAU THÉOLOGIEN (949-1022)
Révélé à l'Occident depuis quelques années par la collection « Sources chrétiennes » avec la collaboration d'un grand érudit orthodoxe, B. Krivochéine, ce spirituel byzantin qu'est Syméon est, dans l'Orient chrétien, l'un des trois saints qui aient mérité, au sens « visionnaire » du terme, le titre de « théologien ». C'est le type même de l'« homme apostolique », qui parle de ce qu'il a vu. Au tournant des deux millénaires, alors que l'Église, en Orient comme en Occident, tendait à se confondre avec la chrétienté, que les rites se figeaient en ritualisme et le monachisme en trop vastes et riches communautés, que, par réaction, se préparait l'explosion, messalienne, bogomile et cathare, d'une pneumatologie dualiste et déracinée, Syméon et ses disciples portèrent témoignage, dans l'Église, de la liberté prophétique et de l'expérience de l'Esprit. Leur insistance sur la conscience personnelle, sur le « père spirituel » librement choisi, quelle que soit sa place dans la hiérarchie, sur l'intériorisation personnelle des Écritures, souligne cette liberté au cœur même du sacrement. La redécouverte de ce véritable « pentecôtisme ecclésial » pourrait aider aujourd'hui l'Occident chrétien à surmonter ses propres déchirements.
Un prophète au destin dramatique
De petite noblesse provinciale, le futur Syméon entreprend avec succès une carrière politique à Constantinople. Mais il est bientôt déchiré entre les passions les plus âpres (« j'ai été meurtrier, adultère dans mon cœur, et sodomite en œuvre et en désir ») et la nostalgie d'une vie spirituelle qui ne cesse de le solliciter par une expérience « océanique » de la lumière. Tout en poursuivant sa carrière, il devient le fils spirituel d'un studite, Syméon le Pieux, qui développe chez son disciple le goût de l'expérience personnelle. Après une retombée tragique dans les passions, d'où le Christ lui-même, dit-il, « le tire par les cheveux », le jeune homme, à vingt-sept ans, devient novice à l'ombre du maître dont il prend bientôt le nom. Sa vie spirituelle se purifie, s'approfondit, l'amène à une communion personnelle avec le Ressuscité qui lui parle, par l'Esprit, « dans le cœur » et transfigure tout son être. Illuminé, Syméon se sent obligé de faire rayonner la lumière. Il va devenir l'écrivain admirable, le poète d'une véritable « érotique divine », des Catéchèses, Actions de grâce, Traités et Hymnes, où, fait exceptionnel en Orient, il multiplie les données autobiographiques, non par complaisance, mais pour le partage. Élu à trente et un ans supérieur du monastère de Saint-Mamas, il devient aussi le rénovateur de la vie monastique et, dans de larges milieux laïcs, le prophète d'une expérience chrétienne renouvelée.
Pour lui la vie éternelle commence ici-bas ; l'Église reste cette communauté de vivants dont parlent les Actes des Apôtres et dans laquelle les dons de l'Esprit sont prêts à foisonner. Mais sa volonté de briser les cloisonnements entre ministères et charismes, entre expérience personnelle et vie communautaire des moines, voire entre monachisme et vie dans le monde ne tarde pas à déranger. Syméon affronte fièrement les plus hautes autorités ecclésiastiques et les exhorte au repentir. Il doit renoncer à sa charge et s'éloigner. En 1009, il se fixe sur la rive asiatique du Bosphore, avec quelques disciples. Il n'écrit plus, semble-t-il, que des hymnes. Déjà réhabilité de son vivant par le patriarche, il fut canonisé moins d'un demi-siècle après sa mort, l'Église se reconnaissant donc dans son témoignage.
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Écrit par
- Olivier CLÉMENT : agrégé de l'Université, professeur à l'Institut Saint-Serge de Paris
Classification
Autres références
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BYZANCE - La littérature
- Écrit par Encyclopædia Universalis et José GROSDIDIER DE MATONS
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ORTHODOXE ÉGLISE
- Écrit par Olivier CLÉMENT , Bernard DUPUY et Jean GOUILLARD
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