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SYMÉTRIES, physique

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Les symétries discrètes

Dans le monde physique, de nombreuses symétries discrètes sont effectivement réalisées par la nature ; le caractère discret s'oppose ici à continu, dans le sens où il fait appel à un groupe dénombrable de transformations. Ainsi, lorsqu'on observe soigneusement un diamant (cristal de carbone pur) ou un cristal de sel de cuisine (chlorure de sodium), on peut mettre en évidence des axes ou des plans de symétrie et en déduire des informations sur la façon dont les atomes de carbone, de sodium ou de chlore s'arrangent selon une structure périodique plus ordonnée que celle du graphite ou du sel fondu. Mathématiquement, on définit les « groupes d'espace » comme l'ensemble des combinaisons d'une translation et d'une rotation qui conservent un certain réseau cristallin périodique.

Evgraf Stepanovitch Fedorov et Arthur Schönflies ont indépendamment décrit, en 1891, les 230 groupes d'espace possibles (cf. cristaux). Les outils d'observation comme la diffraction des rayons X ont trouvé des exemples réels pour presque tous ces groupes. Nous ne nous attarderons pas ici sur ce type de recherches, bien qu'il s'agisse d'un domaine fondamental pour la compréhension des matériaux et que ses applications soient nombreuses en physique et en chimie. Citons seulement, parmi les avancées récentes, la découverte des quasi-cristaux qui a démontré l'intérêt des symétries d'ordre 5 que l'on croyait pourtant interdites (ce qui est exact dans le cas des structures périodiques mais erroné pour des structures quasi périodiques).

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Parmi les transformations spatiales, la réflexion dans un miroir ne signifie pas que tout système physique soit invariant par cette transformation, comme nous le rappellent les tire-bouchons pour gauchers ou la structure en double hélice de l'ADN, mais plutôt que les mêmes lois décrivent l'évolution des systèmes réels et celle de leurs images dans le miroir. Si cela a été vérifié aussi bien pour les conséquences des interactions électromagnétiques et gravitationnelles que pour celles de la plupart des interactions nucléaires, on s'est aperçu, vers le milieu du xxe siècle, que les phénomènes de radioactivité β faisaient exception à cette règle. Il est, depuis lors, bien établi que les interactions nucléaires faibles violent de façon maximale la symétrie du miroir ou, de façon équivalente, la transformation de parité (notée P) qui associe à tout point de l'espace son symétrique par rapport à un point pris pour origine des coordonnées.

Au niveau des particules élémentaires, on aime à considérer une transformation voisine de la symétrie miroir mais notablement plus abstraite : la conjugaison de charge (notée C) qui transforme une particule en son antiparticule. Il a été établi depuis les années 1930 que les antiparticules sont des échantillons de matière tout aussi réels que les particules ; elles ont des masses et des canaux de désintégrations identiques, mais elles portent des charges opposées, ce qui leur permet de s'annihiler lorsqu'elles entrent en collision avec la matière ordinaire. Composantes à part entière de la matière (malgré l'ambiguïté du terme antimatière), les antiparticules n'ont rien de fantomatique ni d'irréel. L'invariance des lois physiques par conjugaison de charge a été énoncée en 1931 par Robert Oppenheimer et Paul Dirac. L'étude de l'équation que Dirac avait inventée pour décrire de façon quantique et relativiste un électron permet en effet de prédire la relation entre une particule et son antiparticule. On sait maintenant fabriquer et utiliser des faisceaux d'antiparticules (principalement des anti-électrons et des antiprotons) et la physique appliquée par les ingénieurs qui contrôlent ces faisceaux n'a aucun caractère fondamentalement différent de celle qui est utilisée pour des faisceaux d'électrons. Après des décennies de tests expérimentaux, il semble bien que la conjugaison de charge soit une invariance des trois interactions forte, électromagnétique et de gravitation ; mais, comme la symétrie miroir, elle est violée de façon maximale par les interactions nucléaires faibles.

Cette violation de la symétrie C par les interactions faibles suffit-elle à expliquer pourquoi le nombre d'antiparticules présentes dans l'Univers est minuscule comparé à celui des particules, selon toutes les observations actuelles ? On considère en effet que s'il existe quelque part des (anti)galaxies constituées d'antiprotons, d'antineutrons et d'antiélectrons, l'annihilation en mésons et en photons de grandes quantités de particules et d'antiparticules aurait dû être observée à grande échelle dans l'Univers. En fait, une étude fine montre qu'à la violation de la conjugaison de charge il faut ajouter celle du produit (appelé CP) de celle-ci par la symétrie miroir. Découverte en 1964, cette violation a été mesurée très précisément en 2002-2006 à Stanford (Californie) et Tsukuba (Japon) par des expériences (appelées respectivement Babar et Belle) d'annihilations d'un électron et d'un positron sélectionnées pour produire abondamment des quarks b ; de masse environ cinq fois celle du proton, ces quarks sont présents dans des mésons dont les modes de désintégration sont particulièrement sensibles aux effets de violation de CP. Ces expériences ont bien confirmé la violation de CP, cependant l'amplitude de cette violation se révèle beaucoup trop faible pour valider le scénario proposé en 1967 par le physicien russe Andrei Sakharov. Selon ce modèle, l'équilibre entre matière et antimatière qui aurait prévalu juste après le big bang aurait pu évoluer en une situation complètement asymétrique où l'antimatière aurait presque complètement disparu de l'Univers. De plus, ce scénario doit faire l'hypothèse de forces nouvelles capables de faire varier le nombre baryonique d'un système. Le nombre baryonique est égal au nombre de baryons – protons et neutrons – diminué du nombre d'antibaryons ; il est aussi égal au tiers de la différence entre le nombre de quarks et le nombre d'antiquarks. Si l'on tient pour établie la théorie du big bang, l'absence d'antigalaxie et la grande rareté des antiparticules dans les rayons cosmiques posent donc toujours un sérieux problème.

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On démontre que le produit CPT de la transformation CP et de l'opération d'inversion du temps (T), qu'il faudrait plutôt appeler « renversement du mouvement », laisse invariante la physique décrite par une théorie quantique des champs. Une des conséquences de cette propriété est l'égalité des masses des particules et de leurs antiparticules, ce qui a été vérifié avec une précision d'un dix milliardième dans le cas du proton et de l'antiproton.

L'examen des permutations de particules identiques dans un ensemble nous conduit à considérer une autre loi de symétrie. Par exemple, dans un ensemble d'atomes d'hydrogène, échanger la place et la vitesse de deux atomes ne modifie en rien les propriétés de l'échantillon. En physique classique, cette observation n'aboutit à aucune conséquence car on prétend qu'on peut suivre l'histoire de chaque atome et reconnaître donc chacun d'entre eux par sa trajectoire. La physique quantique, en revanche, est plus modeste sous cet aspect et beaucoup moins intuitive, et refuse d'assimiler un atome à un ballon dont on suit la trajectoire sur un terrain de football. La nature non observable de la trajectoire quantique oblige à considérer attentivement les conséquences de l'invariance par permutation : cette symétrie implique que les vraies quantités observables de l'ensemble sont inchangées par la permutation de certains éléments. Or on montre que ces observables sont des fonctions quadratiques de la fonction d'onde de l'ensemble ; l'invariance par permutation signifie donc que la fonction d'onde de l'ensemble est soit symétrique dans les coordonnées des atomes (c'est-à-dire qu'elle reste égale à elle-même après toute permutation), soit antisymétrique (c'est-à-dire qu'elle reste égale à elle-même après toute permutation paire mais qu'elle change de signe après une permutation impaire). Les lois statistiques décrivant les ensembles d'atomes dépendent fortement de ce caractère symétrique ou antisymétrique. Wolfgang Pauli a démontré en 1940 que la valeur du spin des éléments décide du caractère symétrique (pour les bosons) ou antisymétrique (pour les fermions) de la fonction d'onde de l'ensemble.

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  • : directeur de recherche émérite au CNRS, centre de physique théorique de l'École polytechnique, Palaiseau

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