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SYMÉTRIES, physique

Les symétries de jauge

On a vu que la conservation de l'énergie s'exprime comme la conséquence de l'invariance des lois physiques dans le temps ; autrement dit, puisque le fait de changer la définition du calendrier ne modifie en rien les forces subies et les trajectoires suivies par des objets, il existe une quantité conservée qu'on appelle énergie du système. Si les professeurs de physique insistent sur cette loi de conservation de l'énergie lorsqu'ils initient les lycéens à la mécanique, les rudiments d'électricité qu'ils enseignent contiennent une autre loi de conservation, celle de la charge électrique d'un système isolé. En évoquant le théorème de Noether, on peut se demander quelle invariance impose la conservation de cette quantité. Pour répondre à cette question, on doit d'abord rappeler que la physique quantique représente un objet microscopique par une fonction d'onde qui est un nombre complexe, avec un module et une phase. La phase n'est en général pas directement observable, mais elle a des conséquences non négligeables sur le comportement des quantités physiques. Ainsi, lorsqu'un processus de diffusion d'une particule sur une autre fait intervenir divers mécanismes élémentaires, le taux de réaction se calcule à partir du module de la somme (et non pas comme la somme des modules) des amplitudes correspondant à chacun de ces mécanismes. Le fait que chacune de ces amplitudes possède une phase rend inévitables des effets d'interférence, qui parfois annulent l'amplitude totale.

En appliquant au cadre quantique une suggestion de Hermann Weyl (1919) qui tentait de géométriser l'électromagnétisme pour l'unifier avec la gravitation, on s'aperçoit que la multiplication des fonctions d'onde des particules chargées par un facteur de phase peut être vue comme la représentation d'une symétrie de la nature. Pour que les forces électromagnétiques ne dépendent pas de cette transformation, on doit simultanément modifier l'expression des potentiels électromagnétiques en leur ajoutant un terme dit « de jauge » qui n'a pas d'effet au niveau de la limite classique. Ces opérations laissent inchangées les observables calculées selon les règles de la mécanique quantique et elles expriment donc une symétrie – appelée symétrie de jauge – des lois physiques. L'application du théorème de Noether montre l'existence d'une quantité conservée, qu'on identifie sans trop de peine à la charge électrique du système. Réciproquement, l'observation de la loi de conservation de la charge électrique plaide pour une écriture des lois physiques qui ne modifie pas le calcul d'un observable lorsqu'on multiplie toute fonction d'onde par une phase.

L' application de ces concepts de symétrie de jauge aux interactions nucléaires fortes et faibles a révélé une part du mystère entourant ces forces de très faible portée. On généralise pour cela le facteur de phase qui était un nombre en lui donnant une structure matricielle. Les groupes abstraits dont ces transformations sont des représentations sont alors plus grands ; on passe du groupe U(1) au groupe SU(3) par exemple. L'invariance se traduit encore par une loi de conservation de charges qui ne sont pas de simples nombres mais des objets issus de la théorie mathématique des matrices. Ainsi, la théorie de la chromodynamique quantique, qui décrit de façon satisfaisante un certain nombre des propriétés des interactions nucléaires fortes, attribue aux quarks une charge dite de couleur, qui peut prendre trois valeurs distinctes, appelées conventionnellement rouge, vert et bleu. Les gluons, vecteurs des forces nucléaires, ne communiquent qu'avec les particules ayant une charge de couleur non nulle, à l'image des photons qui ne sont émis[...]

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  • : directeur de recherche émérite au CNRS, centre de physique théorique de l'École polytechnique, Palaiseau

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