SYMÉTRIES, physique
Les symétries approchées
Un des ajouts essentiels du travail du physicien à celui du mathématicien est l'art des approximations. C'est déjà vrai dans la description des matériaux cristallins où la structure parfaitement périodique est une idéalisation de la situation concrète où les défauts sont si fréquents qu'ils jouent parfois un rôle essentiel dans les propriétés d'un échantillon réel. Cela n'empêche évidemment pas de classer les solides selon leur groupe d'espace, et d'en déduire des conséquences très intéressantes. Au niveau subatomique, la recherche de symétries approchées s'est révélée extrêmement fructueuse. Dès 1932, Werner Heisenberg propose quelques mois après la découverte du neutron de considérer proton et neutron comme deux états d'une même entité, appelée nucléon ; une transformation abstraite – appelée rotation d'isospin – fait passer du proton au neutron ou du neutron au proton, cette transformation agissant sur une coordonnée interne du nucléon dans un espace abstrait. L'examen des propriétés des nucléons et de leurs interactions mutuelles indique que cette transformation est une symétrie approchée des interactions nucléaires fortes. En effet, les caractéristiques du proton et du neutron sont très proches si on évite de parler de leur charge – qui relève de l'électromagnétisme – et de la désintégration bêta du neutron – qui est une conséquence de l'interaction faible. Leurs masses sont presque égales (à moins d'un pour cent près), leur spin est identique, leurs tailles sont du même ordre de grandeur et les probabilités de leurs diffusions mesurées dans les accélérateurs de particules sont comparables. La transformation de symétrie adéquate n'est pas une espèce de symétrie miroir entre proton et neutron, mais plutôt une rotation dans un espace abstrait ; ainsi, c'est d'une symétrie continue qu'il convient de parler, comme si toutes sortes d'états intermédiaires existaient entre le proton et le neutron. Les générateurs de ces transformations ont une structure de groupe de Lie exactement identique à celle qui décrit les rotations ou le spin des particules (d'où le nom d'isospin).
Ainsi, proton et neutron sont deux membres d'un doublet d'isospin. Après que les accélérateurs de particules eurent permis la découverte de nombreux « cousins » du proton, appelés baryons, ainsi que de nombreuses particules souvent plus légères, appelées mésons, Murray Gell-Mann et Yuval Ne'eman ont proposé en 1961 de les grouper en multiplets caractéristiques d'un groupe de symétrie interne plus grande, appelé SU(3) par les mathématiciens. Cette hypothèse impliquait l'existence d'autres particules car certaines cases de ces multiplets (des octets et des décuplets en général) ne correspondaient à aucun état connu. Leur découverte subséquente est un succès indéniable de cette approche. Comme la théorie mathématique des groupes indique que la représentation fondamentale de SU(3) n'est ni un octet ni un décuplet, mais un triplet, on devait se poser la question de la réalisation physique de cette représentation. Gell-Mann avança prudemment que tout se passait comme si des entités plus fondamentales – qu'il baptisait quarks – étaient responsables de la diversité des particules observées, mais il se garda bien de leur attribuer une réalité physique. Après de nombreuses expériences, aucun physicien ne doute plus aujourd'hui que les quarks soient des particules aussi réelles mais plus élémentaires que les nucléons ou les mésons. Les trois quarks (notés u, d et s) correspondant à la symétrie approchée de Gell-Mann ont été rejoints par trois autres quarks de masses plus élevées (c, b et t) pour lesquels la symétrie est encore moins exacte.[...]
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Écrit par
- Bernard PIRE : directeur de recherche émérite au CNRS, centre de physique théorique de l'École polytechnique, Palaiseau
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