SYNDICATS AGRICOLES
Le syndicalisme agricole français paraît singulier au profane. C'est un ensemble réputé puissant qui semble régner sur un véritable maquis d'organisations de toute nature. Son objet, ici comme ailleurs, est « l'étude et la défense des intérêts » professionnels. Cependant, il n'est assimilable ni au syndicalisme ouvrier, ni à celui des milieux patronaux ou des professions indépendantes, bien qu'il emprunte dans ses méthodes, ses discours et ses positions politiques à l'un et à l'autre. Au-delà des contingences de tout processus historique, cette singularité reflète la grande diversité et la forte spécificité de la condition économique et sociale des agriculteurs.
Si le salarié est généralement dans une situation de subordination économique et juridique à l'égard de l'employeur, l'agriculteur est formellement un travailleur indépendant, maître de ses moyens de production et, parfois, employeur de main-d'œuvre. Cependant, souvent, le second a été, ou paraît, en infériorité de rapport de force avec son environnement économique. Ainsi, la condition des petits métayers et fermiers face à la propriété bailleresse ou de certains paysans peu dotés et souscrivant un contrat d'intégration déséquilibré avec des entreprises de l'agroalimentaire s'apparente à une dépendance économique proche de celle des ouvriers. Les situations d'oligopole ou de monopole, voire de comportements frauduleux, auxquelles les agriculteurs sont parfois exposés, entraînent également une asymétrie de rapport de force à leur détriment. Néanmoins, elles n'engendrent pas une dépendance économique comparable aux cas précédents : les possibilités de choix alternatifs restent plus ouvertes.
En fait, le grand problème que les agriculteurs – et les consommateurs – ont dû affronter historiquement est l'instabilité, souvent chaotique, des marchés agricoles. La pénurie peut succéder à la pléthore, la flambée des prix à leur effondrement : une question majeure que le pouvoir politique s'est toujours échiné à résoudre. Cette instabilité a longtemps conduit la paysannerie à des comportements d'une extrême prudence, routiniers voire malthusiens, que des générations de promoteurs du « progrès » se sont efforcées de combattre. Finalement, le pouvoir politique est intervenu pour réduire les facteurs d'incertitude qui pesaient sur le monde agricole, en particulier en régularisant les marchés, afin qu'il investisse dans le progrès et l'accroissement de la production, ce qu'il a fait. Face à ces conditions et interventions spécifiques, le syndicalisme agricole français s'est situé et organisé en faisant preuve d'une grande ambivalence. En réalité, la situation de perdant ou de gagnant, dans les fluctuations économiques, est très variable selon les agriculteurs, les marchés et les périodes. De plus, la productivité du travail augmentant plus rapidement que les débouchés, surtout depuis la Seconde Guerre mondiale, il en résulte globalement une nette sous-rémunération du travail dans l'agriculture et un déclin continu de la main-d'œuvre, sources de malaise et de tensions récurrentes.
Évolution historique jusqu'à la Seconde Guerre mondiale
Trois options idéologiques constitutives
Comme dans la plupart des premiers pays industriels, le syndicalisme a été reconnu officiellement, en France, à la fin du xixe siècle avec la loi du 21 mars 1884. Son origine est avant tout « ouvrière » ce dont témoignent les débats parlementaires et son objet principal, à savoir la levée du délit de coalition sur le marché du travail. La petite histoire a retenu que c'est de façon assez fortuite, presque à la dernière minute, que cette loi a été étendue au secteur agricole. Cela montre que le monde agricole n'en était pas demandeur, sinon,[...]
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Écrit par
- Jean VERCHERAND : ingénieur agronome, docteur en histoire contemporaine, ingénieur de la recherche à l'Institut national de la recherche agronomique
Classification
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