PHILOSOPHIQUES SYSTÈMES
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De la philosophie à l'histoire de la philosophie
L'exigence d'une histoire de la philosophie qui ne soit pas une simple doxographie, mais une discipline philosophique, se fait jour en philosophie à la fin du xviiie siècle et au début du xixe, avec, notamment, Kant et Hegel.
Déterminant les pouvoirs de la raison et les limites de notre faculté de connaître en général, la critique kantienne se prononce sur la possibilité de la métaphysique comme science et donc aussi sur toutes les philosophies réelles. Qu'est-ce que la dialectique de la Critique de la raison pure sinon un examen de la validité de toutes les philosophies passées, sans exception ? En outre, Kant comprend la raison comme architectonique, et la philosophie comme système. Une vue de l'ensemble des systèmes philosophiques est donc impliquée dans le projet critique, non comme complément accessoire, mais parce que liée à l'essentiel du même projet de paix perpétuelle en philosophie. Or le système kantien limite très étroitement les possibilités d'une discipline philosophique de l'histoire de la philosophie, pour deux raisons.
– Entrepris dans le cadre de la dialectique définie comme logique de l'illusion, l'examen des systèmes est du même coup dévalorisation des systèmes. À propos de Platon et d'Épicure, par exemple, l'embarras manifeste de Kant tient à ce qu'il veut distinguer la pensée critique d'un scepticisme destructeur. Comment sauvegarder l'intérêt pour l'étude des philosophes du passé ? Kant ne voit d'autre issue que de les comprendre mieux qu'ils ne se sont peut-être compris eux-mêmes. Ainsi, les thèses épicuriennes sont fausses si on les prend dogmatiquement, mais justes comme maximes favorables à la poursuite des recherches scientifiques.
– D'autre part, Kant, pour obtenir une vue complète de toutes les positions métaphysiques possibles, suit le fil conducteur de la logique, de sorte qu'il présente et repousse les thèses de la métaphysique à partir d'une détermination a priori des spéculations de la raison, et non à partir des œuvres mêmes des métaphysiciens. Critiquant des thèses plus que des systèmes, des difficultés surgissent lorsqu'il faut mettre en correspondance les démonstrations de la dialectique et les systèmes réels. Ainsi, pour ce qui est dit de l'épicurisme dans les antinomies de la raison théorique. En métaphysique, Kant ne va pas de la question quid facti à la question quid juris, mais va plutôt du non-droit au « fait ».
Cette manière de procéder se comprend par la conception kantienne de la philosophie, de son histoire et de la place que Kant s'y reconnaît. Kant, posant que la philosophie a cherché à être une science, constatant qu'elle n'y est pas parvenue, concevant l'histoire de la science comme progrès de connaissances accumulées, ne peut penser la succession des philosophies que comme « tâtonnements », révélés par les conflits du dogmatisme et du scepticisme. L'issue de ces conflits ne peut se trouver que dans une critique de la raison. Or, cette critique étant un préalable, Kant est obligé de se situer lui-même de manière très curieuse et souvent très embarrassée dans l'histoire de la philosophie. D'un côté, on aurait dû commencer par ce préalable critique, et, au fond, rien n'empêchait qu'on commençât par là. D'un autre côté, l'esprit critique est toujours présenté par Kant comme effet de maturité, et donc comme supposant un développement, du temps et des efforts. D'où les embarras conjoints de Kant pour expliquer qu'on n'ait pas commencé par une critique de la raison, mais aussi pour situer l'événement critique. L'expression par laquelle Kant définit l'Aufklärung comme sortie d'une minorité dont l'homme est lui-même[...]
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Écrit par
- Jacques MOUTAUX : inspecteur pédagogique régional (philosophie)
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