TACITE (55 env.-120)
L'histoire entre la sagesse et le désespoir
On ne connaît pas tous les écrits de Tacite. Il avait publié des discours célèbres pour leur gravité. Les premiers textes connus sont trois minora. L'éloge funèbre de son beau-père Agricola, publié vers 98, annonce toutes les tendances majeures de l'œuvre : glorification des grands administrateurs, défense libérale de la domination romaine, critique de la tyrannie qui met en question cette dernière, éloge de la sagesse philosophique tempéré par la défiance à l'égard du fanatisme ou du dogmatisme. Cette œuvre, où Tacite associe d'une manière originale la rhétorique à l'histoire, reste dominée par le discours attribué à l'Écossais Calgacus qui dénonce les abus de Rome et prédit l'union victorieuse des Barbares.
La Germanie, rédigée vers le même moment que l'Agricola, reprend ce dernier thème ; sous les apparences d'une conférence mondaine, et à travers un style magnifique, elle laisse percer à la fois une méthode et une philosophie de l' histoire. Cette méthode est celle de l'ethnologie (que Tacite réutilisera, d'une manière plus schématique, dans les Histoires pour sa célèbre digression sur les Juifs) ; cette philosophie suggère à propos des Germains un éloge de l'état de nature, combiné avec la critique de la barbarie. Ici s'affirme la dette de Tacite envers le platonisme et le stoïcisme, sa défiance envers l'exagération cynique. Une telle enquête doit être prise au sérieux : il était juste de reconnaître avec un siècle d'avance que le danger venait de Germanie : iam impendentibus fatis imperii Romani (Germanie, xxxiii). Le Dialogue des orateurs, qui met en scène plusieurs personnages de l'époque de Vespasien, a sans doute été écrit vers 105. On a contesté l'attribution à Tacite, qui n'est pas certaine. Mais, dans une lettre adressée à l'historien (ix, 10), Pline le Jeune paraît citer cette œuvre, et, comme l'a montré S. Borzsák, les allusions de Pline, qui raconte sa participation (surprenante) à une chasse au sanglier – aper –semblent évoquer, par jeu de mots, le nom d'un des principaux personnages du dialogue. Dans ce texte, Tacite (puisqu'il s'agit probablement de lui) affirme sa fidélité à la tradition de Cicéron, dont il imite le De oratore ; il signale néanmoins certains aspects intéressants de l' éloquence « moderne » ; mais principalement, par la bouche de son porte-parole Maternus, il procède à une double critique de l'éloquence : à cette dernière, il préfère la poésie ; il montre surtout que le plein développement de l'éloquence (dont il essaie, après Quintilien, qui fut sans doute son maître, d'expliquer le déclin) était lié à la liberté, ou plutôt à la licence politique, que les princes ont dû tempérer.
Ainsi le Dialogue, véritable manifeste littéraire, établit-il un rapport entre la réflexion politique et la nostalgie de la poésie. Ces deux tendances à la grandeur épique et au moralisme politique vont gouverner la rédaction des grandes œuvres. Vers 108-109 paraissent les Histoires, dont sont parvenus, sur douze ou quatorze livres, les quatre premiers et le cinquième, inachevé, et qui racontent les événements de la chute de Néron à la mort de Domitien. Avant ou après 117 (date de l'avènement d'Hadrien) sont publiées les Annales, où l'auteur abandonne son projet de raconter le règne de Trajan, et revient à la dynastie julio-claudienneab excessu diui Augusti. Il nous reste les livres I à IV et un fragment des V et VI (règne de Tibère), puis les livres XI et XVI (cf. qui s'interrompt au chapitre xxxv, à la mort de Thrasea) : cette dernière partie couvre la période de 47 (règne de Claude) à 66 ; l'œuvre comptait seize ou dix-huit livres. Les titres, bien que très anciens,[...]
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Écrit par
- Alain MICHEL : professeur de langue et littérature latines à l'université de Paris-IV-Sorbonne, administrateur de la Société des études latines
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