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TAFSĪR

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Mot arabe qui signifie explication, commentaire (du verbe fassara, « expliquer ») et qui a pour synonyme sharḥ, tafsīr désigne une forme de commentaires d'ouvrages très divers en matière de science et de philosophie. Mais la terminologie arabo-musulmane semble avoir distingué le sens de sharḥ, qui est utilisé plus particulièrement pour désigner les commentaires d'ouvrages scientifiques, philosophiques ou littéraires, et celui de tafsīr, qui en est venu spécialement à caractériser les commentaires du Coran. La science qui s'y rapporte est appelée ‘Ilm at-tafsīr (science de l'exégèse). Un autre terme étroitement lié à tafsīr est ta'wīl, qui signifie à l'origine et d'une façon générale explication ou interprétation mais dont, par la suite, l'usage se limita aussi de plus en plus à l'interprétation du Coran. Cependant, ta'wīl semble avoir pris un sens encore plus étroit de manière à s'appliquer uniquement à l'exégèse interprétative ou, plus précisément, à l'interprétation allégorique du Coran. Ainsi le ta'wīl constitua-t-il un complément important à l'exégèse traditionnelle du Coran, désignée plutôt sous le nom de tafsīr. L'exégèse interprétative s'est heurtée à l'hostilité de l'orthodoxie, qui l'a combattue violemment chez les mystiques et ne l'a admise qu'avec beaucoup de réticence chez les mu‘tazilites.

L'exégèse traditionnelle remonte à l'époque du prophète Mahomet et à la première génération musulmane ; selon certaines traditions (ḥadīth), des compagnons se présentaient à ce dernier pour lui demander des éclaircissements sur un mot difficile, une divergence de lecture ou un passage obscur du Coran. C'est donc le Prophète lui-même qui joua le premier le rôle d'interprète de la parole divine, créant ainsi l'embryon de l'exégèse coranique. Ces premiers éléments exégétiques furent recueillis, en dépit de l'hostilité de certains, par des gens tels que ‘Abd Allāh ibn Mas‘ūd (652-653), ‘Alī ibn Abī Ṭālib (660), Abū Musā al-Ash‘arī (mort entre 41 et 53 de l'hégire), ‘Abd Allāh ibn ‘Umar (mort en 693) et Zayd ibn Thābit (mort entre 40 et 56 de l'hégire). Mais celui que l'on considère comme l'autorité suprême de l'exégèse traditionnelle et le père de l'exégèse coranique est ‘Abd Allāh ibn ‘Abbās (mort en 689), à qui on attribue un commentaire (Tanwīt al-miqbār, tafsīr ḥibr al-umma sayyidinā ‘Abd Allāh ibn ‘Abbās). Mais Ibn ‘Abbās n'a laissé aucune œuvre écrite ; ses paroles ont été recueillies par un certain nombre de ses affranchis tels ‘Ikrima et Ibn Abī Ṣāliḥ.

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C'est au long d'un cheminement oral que le matériel primitif de l'exégèse fut constitué, des éléments extérieurs venant s'y greffer, notamment sous l'influence des wu‘‘āz (prédicateurs) et des quṣāṣ (conteurs). Les exégètes composèrent leurs premiers travaux à partir de ce matériel dès le premier quart du iie siècle de l'hégire, ces travaux étaient étroitement liés à ceux des lecteurs et des traditionnistes, dont le but principal était de rassembler les éléments nécessaires à l'élaboration du droit, de la théologie ou de l'histoire primitive de l'islam. Parmi ces exégètes, on peut citer : Muqātil ibn Sulaymān ibn Bashīr al-Azdī (mort en 767) ; ‘Abd Allāh ibn Muḥammad ibn Abī Shayba (775-859), traditionniste irakien, auteur d'un recueil de tradition et de fiqh (Kitāb as-sunan) et d'un commentaire (Kitāb at-tafsīr) ; son frère ‘Uthman (773-851), traditionniste lui aussi et auteur d'ouvrages semblables (Kitāb as-sunan, Kitāb at-tafsīr) ; le Coufite Waki‘ ibn al-Jarrāh (mort en 812). La tradition constituant l'élément fondamental de l'exégèse, celle-ci est peu distincte de l'activité des traditionnistes purs ; et dans certains recueils de ḥadīth, tel le Ṣaḥīḥ al-Bokhārī, on trouve parfois un long chapitre d'interprétations du Coran. Quand Muḥammad ibn Jarīr ab-Ṭabarī (839-923) écrit son commentaire (Jāmi‘ al-bayān fī tafsīr al-Qur'ān), il suit la méthode qui sera celle des commentateurs traditionnels dans les siècles suivants et qui se caractérise par le respect de la lettre du texte, par le recours à l'autorité des exégètes de la première génération et par le renoncement à l'interprétation personnelle, conformément à un ḥadīth attribué au Prophète : « Quiconque traite du Coran en usant de son jugement personnel et est dans le vrai est cependant en faute. »

L'exégèse traditionnelle se présente, en effet, comme une compilation impersonnelle où l'auteur juxtapose toutes les traditions pouvant apporter une explication au texte coranique : il suit celui-ci verset par verset et mot par mot, prend la précaution d'indiquer les chaînes des garants, et n'avance une opinion personnelle que rarement et avec beaucoup de prudence, en s'appuyant sur les dires de l'un des premiers commentateurs qui eux-mêmes se réfèrent au Prophète. Cette méthode, condamnée par les rationalistes mu‘tazilites et critiquée par certains commentateurs, tel Fakhr ad-Dīn ar-Rāzī, est la seule qui fut reconnue par l'orthodoxie, hostile à l'exégèse interprétative, le ta'wīl, auquel s'intéressèrent, en revanche, des groupes, des écoles ou des tendances dissidents. Les mystiques forgèrent leur propre système exégétique fondé sur l'interprétation allégorique. Les Qarmates et autres sectes hérétiques reconnurent l'ésotérisme même, tandis que les shī‘ites cherchaient dans le texte coranique un appui à leurs thèses concernant les droits de ‘Alī et de ses descendants à la succession du Prophète. Au départ très discrète et purement traditionnelle (ainsi l'œuvre de Muqātil ibn Sulaymān devait prolonger l'enseignement d'Ibn ‘Abbās), l'exégèse shī‘ite, sous l'influence des sectes extrémistes, prit une tournure particulière dont on retrouve les deux tendances dans les commentaires de ‘Alī ibn Ibrāhīm al-Qummī (xe s.) et de Muḥammad Murtaḍā al-Qāshānī (mort en 1679).

Le problème qui se posa aux mu‘tazilites, dont l'exégèse rationaliste ne fut pas rejetée totalement par l'orthodoxie, était celui de l'interprétation à donner aux innombrables passages du Coran où la divinité est représentée sous des traits anthropomorphiques, tels le wajh (visage) ou le yad (main). Dans la perspective du ta'wīl, les mu‘tazilites nient la signification concrète de ces termes et leur accordent seulement une valeur métaphorique. Sous leur influence, une partie de l'exégèse orthodoxe adopta une position plus ou moins opposée à l'anthropomorphisme primitif. Le mouvement réformiste du xixe siècle donna naissance, dans l'exégèse du Coran, à des tendances modernistes, motivées par les préoccupations nouvelles, politiques et économiques du monde musulman. Mais les théories et les moyens préconisés divergeaient selon les sources d'inspiration. Le courant fondamentaliste musulman prôna un retour au Coran et à la sunna ; il se partageait entre diverses tendances allant du fondamentalisme intégriste au réformisme musulman à tendance modernisante. L'Égyptien Ṭanṭāwī Jawharī (1862-1940) partait du principe que le Coran, livre total, parfait, valable pour tous les âges, est la somme de toutes les connaissances humaines et, par conséquent, contient l'énoncé de toutes les grandes découvertes modernes, aussi bien dans le domaine de la science que dans celui des institutions politiques. Il propose une réinterprétation du Coran pour adapter l'islam aux exigences du monde moderne. D'autres commentaires présentent de semblables doctrines réformistes, tels ceux de Muḥammad ‘Abduh (1849-1905) et de Rashīd Riḍā (1865-1935).

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Celui-ci, comme les autres réformateurs musulmans, se fonde sur le retour au Coran, base de la vraie civilisation, et considère que les commentaires traditionnels détournent des enseignements véritables de celui-ci. Défendant moins une méthode qu'une doctrine, il critique aussi bien l'exégèse traditionnelle que l'exégèse interprétative ; il s'en prend ainsi au philosophe Fakhr ad-Dīn ar-Rāzī, dont les développements scientifiques, spécialement sur l'astronomie grecque, font oublier le sens premier du texte. Son commentaire cherche à donner des directives et une réponse coraniques à des problèmes actuels, montrant que rien dans le Coran ne s'oppose à la création d'un État moderne, industrialisé, ouvert aux sciences positives. Globalement, en effet, l'exégèse moderniste est apologétique. Elle tend à résoudre le conflit entre la religion et la science, à démontrer l'esprit progressiste de l'islam et sa capacité d'adaptation à toutes les situations nouvelles. Cette attitude se retrouve dans l'exégèse contemporaine ; certains idéologues, par exemple, veulent prouver que le Coran ne s'oppose pas au socialisme. Mais cette interprétation est rejetée par la stricte orthodoxie.

— Khalifa SOUA

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