TAHA HUSSEIN (1889-1973)
Polyvalence de l'écrivain
Ces objectifs, Taha Hussein les a surtout atteints grâce à son œuvre écrite. L'écrivain, le critique, le polémiste sont ensemble présents dans ses romans et dans ses essais. La plupart de ceux-là évoquent la détresse physique et morale d'hommes et de femmes en butte aux injustices sociales et à l'égoïsme des puissants et des possédants ; qu'il s'agisse de la campagne égyptienne ou du Caire, c'est la même misère toujours dénoncée, mais aussi la même richesse des âmes simples exaltée. Dans tous ses ouvrages, Taha Hussein mène avec constance le combat pour la vérité et l'équité, se dresse contre les idées reçues, renverse des idoles et démythifie l'histoire, ce qui lui vaut à maintes reprises les persécutions des pouvoirs publics et religieux. La publication, en 1927, de son livre sur la poésie préislamique, dans lequel il doute de l'authenticité de cette poésie et prouve que nombre de poèmes dits préislamiques sont apocryphes, mit sa vie en danger. Esprit éminemment libre, Taha Hussein, si souvent taxé d'impiété, aborde l'islam sans se soucier des préjugés séculaires : les ouvrages qu'il a consacrés au prophète Muḥammad, En marge de la vie du Prophète (‘Ala hāmish as-sirāt, 3 vol., 1933-1946), à ‘Uthmān, La Grande Épreuve (Al-fitnat al-kubrā, 1947) et à ‘Alī, ‘Ȧlī et ses fils (‘Ȧlī wa banūh, 1953) redonnent vie à ces premières années de l'hégire, et la rigueur de l'historien s'allie ici au lyrisme du poète. Dans la querelle qui opposa si longtemps en Égypte les conservateurs de la tradition orientale aux intellectuels séduits par les valeurs occidentales, Taha Hussein propose une solution qui est une conviction : dans son Avenir de la culture en Égypte (Mustaqbal ath-thaqāfat fī Miṣr, 1938), il soutient qu'il n'existe pas de fossé entre Orient et Occident, lesquels, au contraire, se complètent ; quant à l'Égypte, elle a vocation méditerranéenne et doit, sans complexe d'infériorité à l'égard de l'Europe, multiplier avec celle-ci échanges et contacts culturels. C'est pourquoi, devenu ministre, il procédera à une profonde réforme de l'enseignement : les programmes, sans rien renier du patrimoine national, seront élaborés à partir des modèles de l'Occident.
Mais c'est surtout à travers son œuvre romanesque, classique par l'élégant dépouillement de son style, et à travers son autobiographie, le célèbre Livre des jours (Al-ayyām, 2 vol., 1927-1939), traduit dans une vingtaine de langues, que l'on peut saisir la personnalité de Taha Hussein. Cette autobiographie est un événement dans l'histoire de la littérature arabe : jamais encore on ne s'était raconté avec autant de simplicité et de poésie ; jamais on n'avait osé s'engager si loin dans les voies difficiles de l'introspection. Il en sera de même dans un autre roman de Taha Hussein, Adīb (1934), qui évoque le triste destin d'un jeune étudiant égyptien à Paris. Séduit par les valeurs de l'Occident, Adīb ne parvient pas à les concilier en lui avec sa formation et son éthique musulmanes, et il finit par perdre la raison. Taha Hussein qui, sa vie le prouve, a été homme d'action, trouve dans la composition romanesque une évasion qui devient le thème de beaucoup de ses romans : fuite par la transfiguration du réel dans L'Appel du Karawan, fuite dans l'espace avec Adīb et L'Amour perdu (Al-hubb ad-dā‘i', 1942), fuite hors du temps avec Les Rêves de Shéhérazade (Aḥlām Shahrazād, 1943), fuite dans un passé collectif lointain avec La Promesse tenue (Al-wa‘d al-ḥaqq, 1949).
Il semble que pour cet écrivain, si authentiquement arabe par sa culture et par son style, si intelligemment universel par sa vocation d'éducateur[...]
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Écrit par
- Sayed Attia ABUL NAGA : docteur ès lettres (Sorbonne), agrégé de l'Université, interprète à l'O.N.U., Genève
Classification
Autres références
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