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DJAOUT TAHAR (1954-1993)

Victime le 26 mai 1993 d'un attentat — deux balles dans la tête, tirées à bout portant, —, l'écrivain algérien Tahar Djaout est mort le 2 juin à Alger. Son décès a suscité la plus grande consternation : journaliste à l'hebdomadaire Algérie-Actualité, puis rédacteur en chef de Ruptures, qu'il avait contribué à fonder au début de 1993, il était resté étranger aux cercles du pouvoir d'État et manifestait dans ses articles, traitant essentiellement de thèmes culturels, son choix de la modération et de la tolérance.

Tahar Djaout est né le 11 janvier 1954 à Azeffoun en Kabylie maritime. Après des études qui le conduisent des mathématiques aux sciences de l'information, il devient journaliste en 1976. Ses premières publications avaient été des plaquettes de poèmes : Solstice barbelé (édité au Québec en 1975), L'Arche à vau-l'eau (Paris, 1978), Insulaire & Cie (Alger, 1980), L'Oiseau minéral (Alger, 1982).Un roman, L'Exproprié (publié à Alger en 1981, réédité à Paris en 1991), puis un recueil de nouvelles, Les Rets de l'oiseleur (Alger, 1983), vont inventer une écriture de recherche, jouant sur les transgressions et autres manipulations de texte. L'Exproprié se présente comme le récit d'un voyage en train qui est aussi un procès : les voyageurs seront condamnés à descendre selon l'énoncé des verdicts. L'écriture est volontairement hétérogène, bousculant les voix, détournant le langage figé. Il en va de même dans les nouvelles, qui, par l'enchevêtrement des points de vue, par la déconstruction des codes comme par l'usage du pastiche (de Camus ou de Kafka), invitent à un questionnement systématique.

Avec Les Chercheurs d'os, roman publié en 1984 à Paris, le talent littéraire de Tahar Djaout a été plus largement reconnu. Le récit est celui d'une quête étrange : le narrateur, un adolescent, s'est joint à une équipe de « chercheurs d'os » qui parcourt l'Algérie pour retrouver les corps des disparus, tombés aux quatre coins du pays pendant la guerre de libération. Le jeune homme récupérera les ossements de son frère aîné et les reconduira au village : mais pour quel avantage, sinon pour assurer le triomphe de la mort ? Le regard naïf du jeune homme débusque les frilosités, les léthargies, les mensonges d'une Algérie repliée sur son passé récent.

L'Invention du désert (Paris, 1987), d'une construction très complexe, entremêle des impressions de voyage vers le désert du Sud ou l'Arabie, des souvenirs d'enfance et le récit du pèlerinage d'un aïeul, des proses poétiques sur l'oiseau « maître du mouvement » et « horloge du monde », une évocation du Maghreb médiéval, quand la dynastie almoravide affrontait les Almohades.

Les Vigiles (Paris, 1991) tient, lui, du conte philosophique : un jeune professeur algérois, qui a mis au point un métier à tisser d'un type révolutionnaire, ne parvient pas à faire breveter son invention. Il se heurte à toutes les tracasseries administratives, jusqu'au moment où il est primé à l'étranger : les autorités font alors retomber la responsabilité des difficultés sur un bouc émissaire peu à peu conduit au suicide. Au-delà de la bureaucratie, c'est toute une réalité sociale algérienne qui est exposée, sans la moindre complaisance.

Le regard critique que Tahar Djaout portait sur la société algérienne d'après l'indépendance excluait l'intransigeance, le parti pris, les facilités verbales. Il préférait le sourire de l'étonnement, l'inquiétude du doute, l'esprit de liberté. C'est peut-être pourquoi on l'a assassiné.

— Jean-Louis JOUBERT

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