TAMIFLU ou PHOSPHATE D'OSELTAMIVIR
Le Tamiflu® au cœur d'une controverse
On comprend mal, devant un tel bilan positif, la contestation croissante de l'efficacité du Tamiflu®, qui a débouché depuis 2012 sur la mise en cause de certaines pratiques des laboratoires Roche. Après une première phase d'enthousiasme, l'usage généralisé du médicament a en effet vu apparaître des doutes sur l'importance, voire la réalité du bénéfice du traitement. Ces doutes se sont amplifiés quand les gouvernements ont décidé de stocker de grandes quantités de la molécule et quand l'O.M.S. en a préconisé l'usage et le stockage en cas de pandémie grippale. Ces doutes étaient d'autant plus justifiés que le médicament n'avait pas encore été essayé sur le virus H5N1. Le bénéfice attendu restait donc théorique. Faisait-il sens par rapport aux milliards de dollars dépensés pour l'achat d'un médicament alors que les cliniciens et les épidémiologistes étaient dubitatifs ?
La controverse a réellement pris forme en 2009. Les observateurs de la Cochrane Collaboration, une institution britannique indépendante dévolue à l'Evidence-Based Medicine (médecine fondée sur les faits), reprenant l'évaluation des essais cliniques, avaient noté que la plupart de ces derniers n'avaient pas été publiés, en particulier ceux qui avaient été utilisés dans l'étude issue du laboratoire de Laurent Kaiser de 2003 abondamment citée par Roche. Ce laboratoire était par ailleurs subventionné par le fabricant. En 2009, les chercheurs de la Cochrane Collaboration concluaient, sur la base des données disponibles, à un bénéfice modéré des inhibiteurs de la neuraminidase en ce qui concerne l'évolution de la maladie et la prévention des surinfections chez l'adulte. Le British Medical Journal prenait le relais de la demande de publication des résultats par Roche. En réponse, Roche promit en 2009 de mettre à disposition la totalité de ses essais cliniques. Or seuls un petit nombre de résumés ont été progressivement livrés aux chercheurs. Devant ce qui s'apparente à une rétention d'information, les chercheurs de la Cochrane Collaboration sous la direction de Tom Jefferson, un épidémiologiste indépendant, ont repris les données publiées et nombre de données non publiées dans une analyse épidémiologique extrêmement rigoureuse et approfondie, publiée en 2012.
Un premier constat est que les études obéissent à des protocoles différents, sont difficilement comparables entre elles et ne peuvent pas être intégrées dans une analyse comparative correcte. Les critères de suivi ne sont pas toujours les mêmes. Finalement, il est impossible de tirer une conclusion significative de l'effet des inhibiteurs de la neuraminidase sur la diminution des surinfections, la fréquence d'hospitalisation et la capacité prophylactique de ces substances. Seul un léger raccourcissement du temps moyen d'évolution de la maladie serait à retenir. Tom Jefferson ne concluait pas à l'absence d'effets, tant positifs que négatifs d'ailleurs, mais à l'impossibilité de tirer une conclusion utilisable en santé publique, des études cliniques menées sur ces molécules.
Depuis la fin de 2012 et la relance du débat dans les colonnes du British Medical Journal, de nombreuses analyses épidémiologiques supplémentaires et l'analyse des métadonnées de tests cliniques sont arrivées à des conclusions semblables : le Tamiflu®, dont certains auteurs disent que son influence sur les symptômes grippaux est celle du paracétamol, ne peut pas servir de fondement à une politique de santé publique en matière de grippe et de pandémie grippale. Les bénéfices cliniques semblent minimes. Aucun effet bénéfique n'est observé chez les personnes âgées ou à risque. En outre, les effets secondaires et la sélection de mutants résistants semblent avoir été systématiquement[...]
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Écrit par
- Gabriel GACHELIN : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur
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