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VIEL TANGUY (1973- )

Une littérature du second degré

Loin de chercher à rivaliser directement avec la narration filmique et son point de vue naturellement extérieur, les romans de Viel s’appuient sur ce que le cinéma ne peut que difficilement imiter : une perspective singulière d’une part, celle de « l’après-coup » ; la voix d’un narrateur, souvent grevée d’une insondable mélancolie d’autre part, celle d’un petit escroc floué par les événements qui eurent raison de ses machinations. Ils retrouvent ainsi le temps propre au déploiement du langage – quand l’image au contraire donne tout à la fois – et favorisent une poétique de la subjectivité, qui « replie la littérature dans des espaces plus intérieurs ». Cette littérature, que l’on pourrait dire du second degré en ce qu’elle sollicite constamment les références culturelles et en appelle à la connivence du lecteur, devient plus nettement explicite encore dans La Disparition de Jim Sullivan (2013), saturé de réminiscences cinématographiques. Décidé à écrire un « roman américain » pour bénéficier de son succès planétaire, quand le roman « français » serait, lui, en panne d’imagination, le narrateur, sorte de double de l’écrivain, en revisite ironiquement tous les poncifs. D’abord critique envers ce genre romanesque, il finit par s’y laisser prendre et, si son projet échoue plus ou moins, le dispositif en revanche fonctionne à merveille.

Entre-temps, Tanguy Viel alimente son œuvre à des sources autobiographiques plus cryptées. Modelé sur le « roman familial », Paris-Brest (2009) offre une variation fictive sur ce genre, récemment renouvelé par les « récits de filiation », mais persévère cependant dans les manipulations et le second degré. La « famille » dont les romans précédents avaient exploité le sens mafieux, devient ici une véritable communauté familiale, passablement disloquée. Affleure également une dimension sociale jusqu’alors relativement absente, que vient renforcer en 2017 Article 353 du Code pénal. L’intrigue, qui relate une nouvelle escroquerie, immobilière cette fois, semble en effet s’inspirer plus directement de faits avérés sinon explicitement désignés que de thèmes empruntés au septième art, et se déroule sur fond de licenciements économiques. Le paradigme cinématographique est toutefois encore patent : la scène est un huis clos entre le narrateur, coupable d’avoir tué un promoteur véreux, et le juge, compréhensif, qui l’interroge, à la manière de Garde à vue, de Claude Miller.

Tanguy Viel a fait sienne cette remarque de Jan Baetens selon laquelle la lecture, sous l’influence des films, serait « devenue une adaptation cinématographique mentale du livre qu’on lit ». Son écriture se plie volontiers à cette conviction, sans renoncer toutefois à aborder des questions plus politiques, ni à travailler la saveur poétique du langage et son goût des mots : « Et dans clandestin, j’ai dit, il y a destin » (Insoupçonnable). Ainsi, derrière l’apparente simplicité de l’écriture s’affirme un style certes imagé, mais toujours profondément littéraire, aussi efficace que ciselé.

— Dominique VIART

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Écrit par

  • : professeur des Universités, université Paris Nanterre, Institut universitaire de France

Classification

Média

Tanguy Viel - crédits : Leonardo Cendamo/ Getty Images

Tanguy Viel

Autres références

  • LA FILLE QU'ON APPELLE (T. Viel) - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 244 mots
    • 1 média

    La plupart des romans de Tanguy Viel mettent en présence des personnages qu’opposent l’âge et le statut social. C’était déjà le cas d’Insoupçonnable (2006), de Paris-Brest (2009) et de La Fille qu’on appelle (Minuit, 2021), qui fait écho à Article 353 du code pénal(2017), son précédent...