Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

TANIGUCHI JIRŌ (1947-2017)

Taniguchi Jirō (appelé communément en France Jirō Taniguchi) fut plus célèbre en France qu’au Japon, qui le considérait comme un auteur marginal. Il s’était expliqué de cette situation dans le livre d’entretiens avec Benoît Peeters JirōTaniguchi, l’homme qui dessine (2012) : « Le paradoxe, c’est que tout en étant mangaka, mon style est assez proche de la bande dessinée européenne et que je mets beaucoup d’éléments dans chaque image. Je me situe sans doute entre la BD et le manga de ce point de vue. Et c’est peut-être ce qui fait que pour certains lecteurs japonais mes mangas sont difficiles à lire. »

Né à Tottori le 14 août 1947, Taniguchi est publié dans la presse japonaise à partir de 1971. D’abord marqué par les films d’Ozu, il découvre en 1974 – dans le magazine Métal hurlant – la bande dessinée francophone. Peu à peu, des auteurs comme Moebius, Bilal, Schuiten, mais aussi d’autres moins connus, comme Crespin et Tito, deviennent ses références graphiques. Sa première œuvre importante est cependant éminemment japonaise : dans la longue série Au temps de Botchan(1987-1996, scénario de Sekikawa Natsuo), il fait revivre le monde politique et littéraire de l’ère Meiji (1868-1912), comme le suggère le titre, qui est une allusion à Botchan, le roman de Natsume Sōseki (1906).

<em>L’Homme qui marche</em>, Taniguchi Jirō - crédits : L'Homme qui marche, Jirô Taniguchi 1992-2015/ BCF-Tokyo

L’Homme qui marche, Taniguchi Jirō

Un dessinateur français travaillant alors au Japon, Frédéric Boilet, convainc finalement Casterman d’éditer les œuvres de Taniguchi. En 1995 paraît son premier album, L’Homme qui marche (publié en 1990-1991 au Japon), qui ne ressemble à rien de connu : dans une sorte d’hymne à la contemplation, un homme se promène au hasard des rues, et se réjouit du bruit du vent dans les cerisiers en fleur ou de l’apparition des étoiles dans le ciel. Dans la même veine déambulatoire, et avec à peine plus d’action, Taniguchi, sur un scénario de Kusumi Masayuki, publie en 1994-1996 Le Gourmet solitaire, dans lequel un promeneur savoure dans des restaurants populaires des mets traditionnels de la cuisine japonaise.

Dans la philosophie du « non-agir » qui se dégage de L’Homme qui marche et du Gourmet solitaire, Jean-Marie Bouissou, dans Manga (2012), a vu un héritage du bouddhisme : « L’homme qui marche sans autre but que d’accueillir ce qu’il lui sera donné de voir, et le gourmet solitaire, tout au plaisir simple de manger – seul afin d’être tout entier à ses émotions –, que font-ils, sinon vivre à leur manière, dans le Japon d’aujourd’hui, une sagesse et une esthétique dont les racines sont vieilles de vingt-cinq siècles ? »

C’est probablement en vertu de leur scénario moins évanescent que les deux œuvres de Taniguchi les plus célébrées en France ont été Le Journal de mon père (1994) et Quartier lointain (1998, transposé au cinéma en 2010 par Sam Garbarski). Ces deux récits traitent en fait du même thème : celui de l’adulte qui, ayant enfin compris les mystères familiaux qui pesaient sur son enfance, voudrait revenir à cette époque de sa vie. À l’occasion d’obsèques, le protagoniste du Journal de mon père renoue avec sa famille délaissée, tandis que celui de Quartier lointain,grâce à une faille temporelle, réintègre avec son expérience d’homme de quarante ans le corps de ses quatorze ans, et revit notamment le divorce de ses parents. Les deux histoires – sans doute en partie autobiographiques – illustrent parfaitement la phrase de Goethe : « Être adulte, c’est avoir pardonné à ses parents. »

Si le rapport de l’homme au temps est fondamental dans l’œuvre de Taniguchi, le lien qui l’attache à la nature l’est tout autant, comme le montre aussi Le Sommet des dieux (2000-2003, d’après un roman de Yumemakura Baku), où un alpiniste recherche sur l’Everest des traces de l’expédition tragique de George Mallory en 1924.

Par la lenteur de sa narration, par ses dessins sans emphase,[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Média

<em>L’Homme qui marche</em>, Taniguchi Jirō - crédits : L'Homme qui marche, Jirô Taniguchi 1992-2015/ BCF-Tokyo

L’Homme qui marche, Taniguchi Jirō

Autres références

  • BANDE DESSINÉE

    • Écrit par
    • 22 913 mots
    • 16 médias
    ...pierre (1983), une fresque historique qui a pour cadre la Yougoslavie des années 1940, et par un créateur qui s’est imposé rapidement en Occident, Jirō Taniguchi (1947-2017), auteur notamment de L’Homme qui marche (1992), déambulation d’un héros contemplatif, et du Journal de mon père (1995),...
  • MANGA

    • Écrit par et
    • 7 041 mots
    • 4 médias
    ...en français, sans doute en raison de la description des règles et des usages très spécifiques qui régissent l'entreprise japonaise, certains récits de Jirō Taniguchi (1947-2017), comme Quartier lointain (2002 ; éd. or. Haruka-na Machi-e, 1998), peuvent être en partie rattachés à cette catégorie....
  • ROMAN GRAPHIQUE

    • Écrit par
    • 2 244 mots
    • 2 médias
    ...particulièrement convenir à l’autobiographie, genre dans lequel ses réussites sont les plus nombreuses : on peut mentionner Le Journal de mon père(1994), de Jirō Taniguchi, réflexion sur les mystères de l’enfance ; Blankets, de Craig Thompson (2003), où l’auteur raconte sonadolescence dans une petite...