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TANIZAKI JUN.ICHIRŌ (1886-1965)

Tanizaki Jun.ichirō fut, avec Kawabata Yasunari, l'un des premiers écrivains japonais qui aient été lus et appréciés en Occident de leur vivant. Entre 1950 et 1960, certaines de ses œuvres maîtresses avaient été traduites aux États-Unis et, quelques années plus tard, en Europe, en France en particulier où il recueillit un succès considérable.

On le représenta volontiers comme l'un des défenseurs les plus remarquables de l'esthétique traditionnelle, et lui-même ne dédaigna pas de se composer un personnage qui confirmât le public dans son opinion. Mais dans ses yeux passe souvent une lueur d'ironie.

La fulgurante ascension d'un écrivain « diabolique »

Vers 1908 surgit dans les romans et les revues littéraires le mot seikimatsu, « fin de siècle ». Il est entouré d'un halo imprécis, comme tous les termes qui annoncent l'avènement d'une sensibilité nouvelle et connaissent bientôt la vogue. Tandis que Tōkyō s'étend, se transforme et que, dans le domaine des lettres, les grands écrivains de Meiji atteignent à leur pleine maturité, la génération qui leur succède se sent attirée par d'autres horizons. Elle se détourne de la réalité proche. Elle veut capter des sensations plus fortes ou plus singulières. Avec Akutagawa Ryūnosuke, Tanizaki Jun.ichirō en sera le représentant le plus brillant.

Il recherche l'étrange. Ses premières œuvres sont des nouvelles, de brèves efflorescences de l'imagination. Il évoquera un artiste de jadis fasciné par le corps féminin (Shisei, 1910, Le Tatouage), une Chine de légende (Kirin, 1910, La Licorne), le paradis cruel de l'enfance (Shōnen, 1911, L'Enfant). Dans ce dernier récit, les garçons deviendront les esclaves de l'adolescente qu'ils avaient d'abord maltraitée. Le maître du Tatouage fixe sur le dos d'une jeune femme un dessin d'une étonnante perfection et réalise le rêve de sa vie, mais au même moment éveille en elle l'instinct du plaisir et de la domination. Le narrateur invoque maintes fois la « beauté », mais plus souvent encore le « diable ». Pendant les années de prospérité que traverse le Japon au début de l'ère Taishō (et qui coïncident avec la Première Guerre mondiale en Europe), il proclamera volontiers son « diabolisme ».

Il connut le succès très tôt. Il venait d'interrompre ses études et se heurtait pour la première fois à la censure, quand Nagai Kafū, déjà célèbre et peu enclin à sortir de sa réserve, lui consacra une critique retentissante. Ce fut la gloire. Le premier volume de nouvelles (intitulé Shisei, Le Tatouage) parut en 1912, le second (Akuma, Le Diable) en 1913. Chaque année, il publiera plusieurs récits ou pièces de théâtre, dans des revues d'abord, puis réunis sous forme de livres.

De par sa famille, établie depuis longtemps à Tōkyō où il naquit dans les quartiers marchands qui longent le fleuve, il éprouve une affinité naturelle pour l'atmosphère du vieil Edo. Il en aime les traditions et le raffinement. Il observe les usages, les choses et les gestes ; il les juge en connaisseur. Mais il n'entend pas se soumettre de manière inconditionnelle aux règles du temps passé. Dans Shōnen, il a déjà choisi les décors qui réapparaîtront dans ses œuvres ultérieures : les ruelles de la ville basse, mais aussi, au milieu d'une vaste propriété, une maison traditionnelle et un pavillon à l'occidentale où s'entassent des objets extravagants. Dorénavant, il utilisera tour à tour, selon les besoins de la mise en scène, ces deux univers : la mode venue d'Occident, qui change au fil des années, et la tradition, en particulier celle de l'époque d'Edo.

Il décrit la cité et la famille qui l'ont vu grandir dans Itansha no kanashimi (1917, La Tristesse de l'hérétique). En des phrases concises, moqueuses[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales de l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Autres références

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  • RUINES, esthétique

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