Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

TANIZAKI JUN.ICHIRŌ (1886-1965)

L'accomplissement

Dans les années qui suivirent, Tanizaki ne cessa de produire. Mais il s'avouait insatisfait. Il lui semblait s'engager dans une impasse, Chijin no ai (L'Amour d'un idiot), qu'il fit paraître en feuilleton de 1924 à 1925, reprenait un thème familier – la soumission d'un homme d'âge mûr à la jeune femme qu'il avait recueillie et dont il avait cru faire sa protégée – et pourtant témoignait d'une attitude nouvelle. Ce fut une œuvre longue, à la progression très lente, avec des personnages nombreux et de multiples notations sur l'ambiance de l'époque. Il avait trouvé un mode d'exposition qui lui sera particulièrement cher : le livre est une « confession » à la première personne et tout le récit est porté par le rythme fluide et capricieux du langage parlé. Le maître de la nouvelle s'était tourné délibérément vers le roman.

L'intérêt qu'il portait depuis quelque temps au cinéma et au théâtre reflétait des préoccupations analogues. En 1920 et 1921, il s'associe aux activités de la société cinématographique Taishō-katsuei et rédige plusieurs scénarios. Il est attiré par tout ce qui touche à l'organisation du spectacle et à la dramaturgie.

À la fin du mois de septembre 1923, quelques semaines après le séisme qui ravagea Tōkyō, il décide de s'établir non loin d'Ōsaka. La capitale le lasse. Dans cette région du Kansai qui fut le berceau de la civilisation traditionnelle, il espère retrouver une vie qui s'accorde davantage à ses goûts. Et il observera avec une curiosité passionnée une réalité fort différente de celle qu'il avait connue. L'Amour d'un idiot fut un dernier hommage ironique au Tōkyō des mobo (« modern boys »). Puis il choisit pour sa création une matière nouvelle. En 1928 paraissent coup sur coup deux chefs-d'œuvre :  [Manji, 1928-1930)] et Tade kuhu mushi (1928-1929, Des goûts et des couleurs, traduit sous le titre Le Goût des orties). Récits déconcertants : des relations équivoques unissent un petit nombre de personnages, dans une atmosphère de luxe où se mêlent les raffinements de jadis et les dernières nouveautés. La forme, elle, éblouit. Par un don de mimétisme peu commun, l'auteur a adopté, en quelques années, le parler du Kansai. Il juxtapose des fragments hétérogènes – lettres, confessions, dialogues, descriptions –, des perspectives et des langages différents. Le roman devient une sorte de collage où se déploie sa virtuosité. Le retour à un rythme de vie plus traditionnel coïncide avec une création résolument moderne. Chacun de ces livres est un objet précieux. Les illustrations en sont confiées aux peintres les plus brillants de cette génération et la typographie insolite charme l'œil. Avec un soin qui confine au fétichisme, Tanizaki veille au choix du papier et de la reliure. Souvent, le lecteur s'arrête un instant au détour d'une phrase : la langue a l'éclat et la douceur du velours. Un même souci de la forme s'affirme dans ses récits historiques, qu'il composa peu après et qui passèrent parfois pour ses œuvres maîtresses : Mōmoku monogatari (1931, Le Dit de l'aveugle), Ashikari (1932), Shunkinshō (1933, Fragments de la vie de Shunkin). C'est en 1933 que paraîtra In.ei raisan (Éloge de l'ombre), l'un des textes les plus séduisants qui aient été écrits sur l'esthétique traditionnelle japonaise.

Le cours de l'histoire se précipite, la guerre approche. Tanizaki se tient à l'écart. Il met en chantier deux travaux considérables : il traduit en langue contemporaine le Genji monogatari, et le premier volume sera prêt en janvier 1939 ; en 1942, alors que les hostilités sont déclenchées sur tous les fronts, il commence à rédiger une « chronique » des années qui précédèrent la grande[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales de l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Autres références

  • LA CONFESSION IMPUDIQUE, Tanizaki Jun.ichirō - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 023 mots

    C'est un véritable scandale que suscite la parution en 1956 de La Confession impudique (Kagi, littéralement « La Clé »), œuvre du romancier japonais Tanizaki Jun.ichirō (1886-1965). L'auteur est alors âgé de soixante-dix ans : c'est un maître dans le monde des lettres, unanimement...

  • RUINES, esthétique

    • Écrit par
    • 2 906 mots
    • 1 média

    L'attitude psychologique d'où naît le goût des ruines se révèle assez tard dans le monde occidental, alors qu'elle existait depuis longtemps chez les Orientaux. On ne saurait en trouver une meilleure analyse que dans In-ei raisun (Éloge de l'ombre) du romancier japonais contemporain...