TANTRISME
Le tantrisme n'est pas une religion différente de l'hindouisme, du bouddhisme (ou du jinisme). Il n'en est qu'une forme particulière, un « système modelant secondaire », avec ses normes propres, organisant à sa manière des éléments qui, pour la plupart, sont ceux du système général de la culture hindoue (ou bouddhique) par rapport à laquelle il faut donc le poser. Caractérisé par un ritualisme proliférant, un panthéon envahissant et des pratiques de yoga particulières, il a aussi des traits théologiques et doctrinaux propres, avec une vision originale de la divinité et du monde. Développement intérieur aux religions indiennes, le tantrisme, tout en y formant des courants ésotériques très caractérisés, les a généralement marquées de son empreinte, si bien qu'il est peu aisé, du moins dans l'hindouisme, de repérer exactement ses contours. Répandu avec ces religions hors de l'Inde – au Tibet, dans la péninsule indochinoise et en Indonésie, en Chine et, de là, au Japon (et cela des premiers siècles de l'ère chrétienne à nos jours) –, il y a pris des aspects divers. Si donc le tantrisme fait problème, il apparaît aussi comme un phénomène religieux multiforme, d'une longue durée historique et d'une importance considérable.
La question du tantrisme
Le mot tantrisme – du sanskrit tantra, « trame », d'où « doctrine » et, de là, « traité enseignant cette doctrine » (que celle-ci soit ou non tantrique) – est dû aux orientalistes européens qui, vers la fin du xixe siècle, découvrirent dans des textes nommés tantras des doctrines et des pratiques différentes de celles du brahmanisme et de l'hindouisme classique issus du Veda et des Upaniṣad comme du bouddhisme theravada ou du Mahāyāna philosophique qu'ils connaissaient et qu'ils croyaient former le tout de la religion et de la métaphysique de l'Inde. Ce terme désigna donc ce qui leur parut être un ensemble aberrant de pratiques étranges, parfois répugnantes, et de spéculations ésotériques bizarres associées au culte de divinités multiples et souvent effrayantes.
Le progrès des connaissances sur l'Inde, toutefois, fit voir que ce qu'on avait d'abord cru être un phénomène limité et exceptionnel se retrouvait, en fait, à des degrés divers dans toutes les religions indiennes au point d'en devenir, à partir d'un certain moment, un trait général : c'est, en réalité, l'absence de toute trace tantrique qui est l'exception. Mais, du jour où des éléments considérés comme tantriques se rencontraient un peu partout, il devenait difficile de définir le tantrisme en le posant par rapport à ce qui n'était pas lui. Il se trouva même des spécialistes pour dire que le tantrisme n'existait que dans l'esprit des orientalistes – ce qu'on nommait ainsi n'étant guère qu'une des formes prises à partir d'un certain moment par l'hindouisme (ou le Mahāyāna) en général – ou encore qu'il ne constituait que l'aspect rituel et technique de ces religions.
De fait, le terme même de tantrisme est étranger à l'Inde traditionnelle. Il n'existe pas en sanskrit. Il y a, par contre, des textes nommés tantras (mais tous ne sont pas tantriques, alors que nombre de textes tantriques ne se nomment pas tantra). Il y a un tantraśāstra, un enseignement tantrique, auquel s'applique en général l'adjectif tāntrika. Ce dernier est utilisé par opposition à vaidika, « védique », ce qui distingue deux formes de la tradition religieuse-rituelle révélée. L'une, plus « orthodoxe », repose sur le corpus védique, du Veda aux Upaniṣad, avec les commentaires accompagnant ces textes, tradition toujours vivante, notamment dans le rituel domestique hindou et surtout dans les « sacrements » (saṃskāra) que doivent[...]
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Écrit par
- André PADOUX : directeur de recherche au C.N.R.S.
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