TANTRISME
Le panthéon
Le panthéon tantrique est difficile à décrire en tant que tel, car il est mêlé à celui de tout l' hindouisme (le cas bouddhique est plus simple). On peut seulement noter quelques traits spécifiques pour tâcher de distinguer ce qui est tantrique de ce qui ne l'est pas, ou de ce qui l'est moins.
Quelle que soit la secte, il émane de la divinité, rassemblant deux pôles, masculin et féminin, toute une hiérarchie de formes et d'entités surnaturelles, de la plus haute à la plus basse, parmi lesquelles toutefois les êtres féminins dominent, puisque le processus cosmique est l'œuvre de la śakti. La déité suprême y est une de celles de l'hindouisme – Viṣṇu, Śiva, la Déesse –, mais de forme tantrique, associée toujours à une entité correspondante de sexe opposé. Śiva, par exemple, pourra être un des aspects de Bhairava, dieu redoutable aux traits transgressifs, dominant surtout dans les tantras. Dans les āgama dualistes, ce sera Sadāśiva, déité plus paisible. Ou bien l'on aura Kāmeśvara ou Kuleśvara (associés à Kāmeśvarī ou Kuleśvarī), etc. Sūrya, le dieu-soleil, est dans le tantrisme une forme de Śiva. Gaṇeśa joue un rôle important dans ce panthéon, où il est associé parfois à Baṭuka, forme de Bhairava, et toujours accompagné d'une dūtī, « messagère ». On le trouve parfois multiplié par dizaines. Les cinq « visages » de Śiva, ses six « membres » (aṅga), ses attributs sont des formes divines ; et il en est de même des énergies qui en émanent : les entités surnaturelles surgissent les unes des autres hiérarchiquement.
Très spécialement tantriques sont les formes de la Déesse, celles notamment des cultes kāpālika des Yoginīs, divinités sauvages, assoiffées de sang, porteuses de guirlandes de têtes coupées, parfois thériomorphes, peuplant tout le cosmos d'un réseau omniprésent de puissance (yoginījala), dominant les cycles cosmiques et dont les lieux de puissance (les pīṭha, où tombèrent les fragments du corps déchiqueté de la Déesse) sont répartis dans toute l'Inde. Ces Yoginīs sont groupées en « familles » (kula), les principales étant celles des huit « Mères » (mātṛ) : Brahmī, Maheśvarī, Kaumarī, Vaiṣṇavī, Indrāṇī, Vārāhī, Camuṇḍā, et Mahālakṣmī, à qui des cultes secrets sont rendus la nuit sur les lieux de crémation où elles communiquent leur toute-puissance à leurs dévots en les possédant. On ne peut pas passer en revue toutes ces déesses, parmi lesquelles se remarquent notamment des formes effrayantes de Kālī : Guhyakālī, la Secrète, les douze Kālīs du système Krama, dominées par la « Destructrice du temps », Kāla-saṃkarṣiṇī, ou les trois déesses du Mata, dont la plus haute se nomme Ghoraghoratara, « la plus Terrible des Terribles », ou Kubjikā, la « Bossue », unie au beau dieu Navātma, etc. Formes farouches de cultes visionnaires aux rites transgressifs, ces déités ont en même temps fait parfois l'objet de spéculations métaphysiques subtiles, même dans les anciens tantras. Ainsi, dans ceux du Trika, où les énergies et les dieux sont dominés par la triade des déesses Parā, Parāparā et Aparā, formes de l'absolu siégeant sur les pointes du trident shivaïte issu du « Grand Trépassé » (Mahāpreta) qu'est pour cette école Sadāśiva, en quoi elle s'affirme supérieure au Śaivasiddhānta. Parā est alors « Essence des Mères » (Mātṛsadbhāva), le pur absolu transcendant dans lequel l'adepte se fond par la méditation yogique. Mais il y a aussi des déesses plus aimables, telle Tripurasundarī, la « Belle des Trois Cités », dont le culte, fait avec un diagramme (le śrīcakra) et un mantra (la śrīvidyā) particuliers, subsiste encore, très « védantisé », en Inde du Sud. De façon analogue, d'autres cultes transgressifs[...]
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Écrit par
- André PADOUX : directeur de recherche au C.N.R.S.
Classification
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