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TAO YUANMING[T'AO YUAN-MING](365-427)

Éléments d'une dialectique

Tenter de définir l'attitude de Tao Yuanming vis-à-vis de l'engagement politique, c'est buter sur une masse de contradictions qui ne se laissent jamais tout à fait résoudre. En majeure partie, sa poésie constitue un plaidoyer passionné pour la vie de retraite : il est, comme dit Zhong Rong (469-518), « le chef de file des poètes retraités parmi les anciens et les modernes ». Dans les poèmes écrits pendant son temps de service, il ne cesse de se lamenter sur la perte des joies bucoliques de sa campagne, loin des tracas de la cour ; certains poèmes apparaissent comme de purs hymnes à la vie paysanne ; d'autres, enfin, écrits chez lui, dépeignent avec objectivité la vie dure du petit paysan qui cultive lui-même ses terres. Mais parfois il se déclare prêt à affronter la vie politique pour se faire une renommée éternelle, ou bien, dans des poèmes satiriques dont le sens est difficile à démêler aujourd'hui, il témoigne d'un intérêt politique évident ; enfin, il lui arrive de chanter les louanges d'antiques héros qui se sont sacrifiés pour leur souverain. À cela, les critiques anciens répondent que Tao Yuanming était un loyaliste des Jin et qu'il a refusé de servir les usurpateurs ; mais n'est-ce pas négliger l'essentiel : les fort nombreux textes tout à fait apolitiques qui chantent la joie de vivre en simple paysan ?

D'autres contradictions encore marquent toute son œuvre : tantôt il prêche l'acceptation résignée, presque joyeuse, de la mort, tantôt il l'envisage avec une profonde angoisse, ou bien encore il prêche une sorte de laisser-aller taoïste, un retour à la spontanéité naturelle et amorale, à moins qu'il ne chante les héros confucianistes, modèles de devoir et de moralité traditionnelle. Partout des antinomies, partout aussi un style sûr, apparemment simple et direct, qui cache d'insondables tensions, et une grande complexité. On pourrait voir là l'effort d'un homme qui, tout en restant profondément ancré dans la tradition, essaie de se constituer un nouveau domaine, celui de l'homme particulier, désengagé, vivant de ses mains, jouissant des amitiés bucoliques, loin des grands de ce monde. Mais est-il totalement dégagé de l'État ? Il semble que les critiques n'ont pas tort de considérer la retraite de Tao Yuanming comme un refus, consacré par une tradition millénaire, de servir pendant une période de troubles et d'usurpation. Et ces oppositions montrent à quel point il était difficile à un Chinois au Ve siècle de créer et puis d'accepter lui-même une vue du monde qui donnerait une place à l'homme privé.

L'évasion qu'il cherche dans le vin et dans le monde imaginaire est un autre indice de cette difficulté. Il décrit les joies pures et simples que lui procure le vin, mais la mélancolie qui remplit ses poèmes fait penser qu'il a le vin triste : c'est un constat d'échec. Ses lectures du Shanhai jing, le Livre canonique des montagnes et des mers, et le Récit de la source aux pêchers, première utopie de la littérature chinoise, prouvent aussi qu'il cherche à éluder les contradictions et les tristesses de ce monde.

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Écrit par

  • : ancien directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

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