TAOÏSME
Le taoïsme religieux
Les Maîtres célestes et l'Église taoïste
Des cultes populaires envers les Immortels, on l'a vu, abondaient sous les Han. Les empereurs soucieux de prestige, tels que Qin Shi Huangdi (221-210) et Han Wudi (140-87), envoyèrent des expéditions maritimes à la recherche des îles des bienheureux. Le culte impérial de Laozi divinisé fut un effort de la part du gouvernement pour prendre à son compte ce qui devait être déjà à l'époque un mouvement religieux populaire de grande envergure. Sous le règne de l'empereur Shun (126-144), on avait présenté au trône un écrit volumineux intitulé Taiping jing (Livre de la Grande Paix), transmis à un adepte taoïste par un Immortel. Le livre contenait la description utopique d'un État où règnent liberté et justice sous un prince éclairé, qui doit au besoin céder le trône aux sages. L'empereur fut invité à s'y conformer.
Quelques décennies après, des mouvements messianiques et utopiques passèrent à l'action, et, pour la première fois en Chine, eut lieu un soulèvement populaire, animé par un mouvement politico-religieux des masses restées jusqu'ici invisibles. En 184 (année jiazi, donc au début d'une ère et d'un cycle nouveaux), le mouvement des « Turbans jaunes », sous la conduite de leur chef Zhang Jue, s'empara du Shandong et faillit renverser la dynastie. Le livre sur lequel se fondait leurs espérances fut le Taiping jing. Zhang Jue fit aussi réciter le Daode jing à ses fidèles. Un autre mouvement qui se déclara vers la même époque fut celui des Maîtres célestes. Historiquement distinct de celui des Turbans jaunes, il lui ressemblait cependant sur bien des points. La doctrine des Maîtres célestes (Tianshi jiao) se répandit dans le sud-ouest de la Chine, dans l'actuel Sichuan, à l'époque région limitrophe à peine colonisée par les Chinois. L'État théocratique qu'y fondèrent les Maîtres célestes échappa à la répression. Le mouvement ne cessa de se développer et finit par constituer ce qu'on appelle « l'Église taoïste », qui devint à son tour la grande religion populaire de la Chine, rôle qu'elle a conservé jusqu'à ce jour.
Le fondateur, le premier « Maître céleste » du mouvement, était Zhang Daoling. Né au début du iie siècle à Luoyang, la capitale des Han, il se retira en « sage caché » sur la montagne Emei au Sichuan. Laojun (c'est-à-dire le dieu Laozi) lui apparut au septième jour du premier mois (lunaire) de l'année 155. Le Vieux Maître lui déclara qu'il s'agissait de sa « Nouvelle Apparition » (Xinchu laojun) où il devait révéler une doctrine nouvelle et salvatrice : tout l'univers n'était autre chose que le corps de Laojun lui-même, composé de Trois Souffles primordiaux. Ces Trois Souffles (qui sont le Mystère, l'Origine et le Commencement, et qui ont les couleurs sombre, jaune et blanc) avaient formé le Ciel, la Terre et l'Eau. Cet ensemble était subdivisé à nouveau en vingt-quatre souffles secondaires. Cette révélation, dite des Trois Cieux, marqua l'avènement d'une nouvelle cosmologie, mettant fin au règne funeste des « Six Cieux » démoniaques (on ignore dans ce cas à quoi il est fait exactement allusion). Comme tout système cosmologique, la doctrine des Trois Cieux s'appliquait aussi bien au macrocosme qu'au microcosme. Les Trois Souffles secondaires se retrouvent dans le corps (encore faut-il que l'adepte apprenne à les distinguer). Dans le temps, l'année se divisait en trois grandes périodes, avec chacune sa fête (le 15 du premier, du septième et du dixième mois). Vingt-quatre stations (jie) marquaient tous les quinze jours le calendrier. À l'univers divisé en trois étages sur un axe vertical correspondait une sous-division en vingt-quatre diocèses ([...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Kristofer SCHIPPER : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)
Classification
Média
Autres références
-
ALCHIMIE
- Écrit par René ALLEAU et Encyclopædia Universalis
- 13 642 mots
- 2 médias
...plus prestigieux des arts magiques, ont exercé, comme l'a montré Granet, une influence directe et profonde sur les premières conceptions alchimiques taoïstes. Par leurs principaux aspects, ces théories et ces pratiques remontent à la lointaine préhistoire. L'art du feu a formé, pendant des millénaires,... -
BAI YUCHAN [PAI YU-TCH'AN] (1134-1222)
- Écrit par Kristofer SCHIPPER
- 338 mots
Grand taoïste de l'époque des Song du Sud (1127-1279), dont l'œuvre domine le taoïsme des Temps modernes, surtout en Chine du Sud. Mais l'état actuel des recherches ne permet point de saisir tous les aspects de cette œuvre. La vie de Bai Yuchan est elle-même mal connue. Ge Changgeng,...
-
BOUDDHISME (Les grandes traditions) - Bouddhisme chinois
- Écrit par Jacques GERNET et Catherine MEUWESE
- 4 679 mots
- 5 médias
...traitent justement de ces techniques), mais aussi par certaines de ses conceptions philosophiques, le bouddhisme paraissait présenter des analogies avec le taoïsme. Aussi est-ce dans le vocabulaire du taoïsme et, plus généralement, dans celui de la philosophie chinoise que sont traduits tout d'abord les termes... -
BOUDDHISME (Les grandes traditions) - Bouddhisme japonais
- Écrit par Jean-Noël ROBERT
- 13 492 mots
- 1 média
...des deux maṇḍala que sont le corps masculin, d'une part (maṇḍala du Plan de diamant), et le corps féminin, de l'autre (maṇḍala du Plan de la matrice). L'influence des conceptions taoïstes sur l'union du yin et du yang est d'autant plus probable que le fondateur de cette branche, Ninkan (... - Afficher les 44 références