TAORMINE (Y. Ravey) Fiche de lecture
Cul-de-sac
Taormine est l’histoire d’une traque insidieuse et d’une fuite impossible. Melvil sait assez vite que cet accident a provoqué une enquête de police, et que tous ceux qui sont censés l’aider le savent fautif. De l’employé d’hôtel au garagiste, en passant par les enquêteurs, personne n’est dupe. Luisa fait comme si de rien n’était, désireuse de visiter les sites antiques de l’île ; de son côté, Melvil dépense sans compter afin de payer les frais de réparation et diverses gratifications. Ils devront quitter précipitamment la Sicile, et cela coûte.
Loin de soutenir son mari, Luisa lui rappelle qui elle est, une chercheuse au CNRS et la fille du professeur Gozzoli, une sommité au compte en banque bien rempli, quand Melvil n’est qu’un cadre au chômage, incapable de retrouver un emploi. Il dépend d’elle et son seul moyen de se sentir à égalité est de répondre à ses envies, une façon comme une autre de lui signifier son amour. Mais il échoue et reste seul : il a commis un acte grave, il lui faut trouver une solution. Elle le regarde de haut, le traite avec mépris, le même ou presque que celui que montre à son amant l’héroïne du film de Godardsur l’île de Capri.
Comme toujours chez Yves Ravey, le cadre est soigneusement posé. Taormine est d’abord un nom. Il suscite des images, fait naître une atmosphère. Pas plus que le Jura d’Enlèvement avec rançon (2010) ou la Californie de Pas dupe (2019), il ne s’agit d’un décor réaliste. Ce souci du nom propre vaut aussi pour les personnages. Si le prénom du narrateur renvoie à l’auteur de Moby Dick, Hammett suggère une autre influence, celle du roman noir américain, et du behaviorisme où le comportement – ce que l’on voit – importe plus que ce que les personnages pensent. En ce sens, le lecteur reste seul juge, et aucune intervention de l’auteur ne saurait empêcher cette liberté de s’exercer.
Dans la phrase de Ravey et, partant, dans son univers qui doit beaucoup aux arts plastiques et au cinéma, chaque détail compte. Une valise fouillée par un inspecteur, et c’est toute l’intimité d’un couple qui se dévoile. Rien ne se produit par hasard ni hors du cadre.
Yves Ravey est un maître du suspense. Il le manifestait au plus haut point dans Trois Jours chez ma tante (2017), on le voit également ici. Taormine est le roman de l’attente, du retard, des atermoiements et des impatiences que les lenteurs d’un garagiste suscitent. À ce temps distillé goutte à goutte correspond un espace devenu labyrinthe : le narrateur est enfermé dans ce décor d’apparence idyllique et les rares fois où il cherche à s’en échapper, il échoue.
Luisa et lui partagent la faute et dans la précipitation du départ, à la façon des migrants qui errent en Méditerranée, ils resteront en fuite jusqu’au bout, poursuivis par des hommes et peut-être plus encore par le sentiment d’une faute inexpiable.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Norbert CZARNY : professeur agrégé de lettres modernes
Classification