AMROUCHE TAOS (1913-1976)
Sœur de l'écrivain Jean Amrouche, Taos Amrouche appartient à la Petite Kabylie, par son père, à la Grande Kabylie, par sa mère. Mais les hasards de l'histoire qui voulut que ses parents, en échange d'une bonne instruction française, fussent amenés à adopter le christianisme, puis la nationalité française, la firent naître à Tunis où les siens s'étaient exilés pour fuir l'exil intérieur au pays même. En cette « figue de Barbarie » que fut la famille Amrouche, deux des enfants, Jean et Taos, voulurent préserver la conscience la plus aiguë de leur double appartenance maghrébine et française, et s'attachèrent à jouer un rôle médiateur.
C'est à leur mère, Fathma, qu'ils doivent d'avoir su relier les rives des deux mondes. Cette femme, auteur d'une Histoire de ma vie (1968), se rattachait à une lignée d'aèdes, dont elle avait retenu les chants. Jean et Taos se mirent, l'un à traduire les poèmes, et cela donna les Chants berbères de Kabylie (1939), l'autre à compléter la collecte et à interpréter les chants. Douée d'une voix exceptionnelle, allant du plus grave au plus aigu, à la fois ample et riche de timbre, Taos, dès vingt ans, se sentit appelée à se consacrer aux monodies millénaires héritées de sa lignée. Sa participation au congrès de chant de Fès, en 1939, lui vaut d'obtenir une bourse pour la Casa Velázquez, à Madrid (en 1940 et 1941), pour rechercher dans le folklore ibérique les survivances de la tradition orale berbère. À la Casa Velázquez, Taos rencontre celui qui deviendra son mari, le peintre André Bourdil. De leur union naîtra une fille unique, aujourd'hui la comédienne Laurence Bourdil. De Madrid, ils retournent vivre à Tunis, puis à Alger, où Bourdil est pensionnaire à la Villa Abd el-Tif. Ils viendront définitivement s'installer en France en 1945. Les occasions de chanter en public ne se présentent pas tout de suite. Il y a eu, à Madrid et à Barcelone, en 1941, les premiers récitals ; mais, en France, c'est la guerre. Taos s'oriente vers la radiodiffusion. Après Tunis et Alger, c'est à Paris, de 1950 à 1974, qu'elle produira des émissions variées, sur les traditions orales, des entretiens avec des écrivains comme Jean Giono ou Joseph Peyré, une chronique hebdomadaire en kabyle de 1957 à 1963 ; la série se termine par une fresque sonore, en douze émissions, Moissons de l'exil, longue confidence.
À partir de 1954, deux récitals la font connaître à Paris. Puis il faudra attendre la fin de la guerre d'Algérie, le grand récital de 1964, Salle des concerts du Conservatoire, et celui de 1965, en l'église Saint-Séverin. Dès lors, on l'appelle à Orléans, à Florence, à Rabat ; Dakar et le Festival des arts nègres, en 1966, où le président Senghor l'invite, consacrent la portée africaine et universelle de son message. Mais Alger reste sur la réserve. Pourtant, les plus éminents de ses compatriotes témoignent en faveur de l'authenticité de l'héritage : Mouloud Mammeri, Malek Haddad, Mohammed Dib, Mostéfa Lacheraf et surtout Kateb Yacine qui, pour la représentation de sa tragédie, Les ancêtres redoublent de férocité, au Théâtre national populaire, à Paris, en 1966-1967, s'honore de son concours comme choryphée chantant. C'est ensuite Nanterre, en 1966 et 1969, Venise, en 1970, le Maroc encore, à la Mohammedia, pour le Colloque d'islamologie de 1970, Gstaadt auprès de Yehudi Menuhin en 1972...
Une conférence-récital de Taos était toujours une célébration rituelle. Vêtue de sa djellāba blanche, casquée du haut frontal, comme armée de lourds bijoux kabyles, elle invoquait les ancêtres avec une noblesse de tragédienne, faisait vivre les femmes à la meule, les gauleurs d'olives, les cortèges de noces, et traduisait les chants ; puis la voix s'élevait, sauvage,[...]
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Écrit par
- Jacqueline ARNAUD : agrégée de lettres classiques, maître assistant à l'université de Paris-Nord, maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris
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