TAPIS MODERNES ET CONTEMPORAINS
1925 et les différentes tendances du style Art déco
Contrairement à l'Exposition de 1900, l'Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925 fut le témoin d'un puissant renouveau dans l'art du tapis. On peut dégager deux grands courants au sein d'une production foisonnante : un style fleuri pratiqué par les décorateurs et une tendance géométrisante plus épurée issue du cubisme.
L'intérêt de créateurs venus d'horizons très divers avait été éveillé dès avant la Première Guerre mondiale. Les Ballets russes de Diaghilev avaient mis la couleur à la mode, et le couturier Paul Poiret (pour qui Raoul Dufy travailla) avait créé en 1912 l'atelier Martine, dirigé par sa fille, où éclataient la rutilance des étoffes, des coussins et des tapis. En 1925, la présentation spectaculaire de ses réalisations sur trois péniches Amours, Délices et Orgues devait le ruiner. Dans ce même esprit exubérant, Jane Lévy donna des cartons pour des tapis à l'atelier Braquenié.
Les grands décorateurs des années 1920 conçurent le tapis en fonction de son intégration à un ensemble mobilier. La tradition de raffinement et de qualité qui s'attache aux noms de la société Ruhlmann, de Louis Süe et André Mare, fondateurs en 1919 de La Compagnie des arts français, incita ces maisons importantes à s'adresser aux meilleurs ateliers d'Aubusson et de Felletin. Ruhlmann fit tisser de nombreux cartons d'après Gaudissart chez Braquenié, La Compagnie des arts français préférait l'atelier Lauer pour exécuter des compositions d'après André Mare, Gustave Jaulmes ou Paul Véra. Le décor floral domine ; il inclut souvent le motif de la rose stylisée caractéristique de l'époque, traitée dans des tons pastels ou assourdis.
Depuis 1924, Jules Leleu, autre décorateur prestigieux, travaillait avec Ivan Da Silva Bruhns, peintre brésilien qui est considéré comme le plus grand rénovateur de l'esthétique du tapis contemporain. Da Silva Bruhns avait sa propre fabrique à Savigny-sur-Orge, mais sa collaboration avec Leleu lui permit de faire tisser chez Lauer ou chez Braquenié des tapis au point noué, ciselés ensuite à la main. Le répertoire décoratif de ses tapis est plus sobre et la gamme colorée volontairement plus restreinte que celle des grandes maisons concurrentes. Sous contrat avec Leleu jusqu'en 1936, Da Silva Bruhns forma Paule Leleu, qui signa ensuite une gamme importante de tapis au point noué.
L'Exposition de 1925 révéla le dynamisme des créateurs qui travaillaient à des prix plus abordables pour les grands magasins, ainsi Paul Follot pour l'atelier Pomone du Bon Marché, Maurice Dufrêne pour la Maîtrise des Galeries Lafayette, Étienne Kohlmann et Matet pour le Studium du Louvre obtinrent avec leurs tapis un grand succès. Le plus souvent, les cartons sont anonymes, et il est difficile à l'historien d'établir avec précision les dessinateurs qui ont travaillé pour ces entreprises. La pièce la plus admirée du public fut un tapis spectaculaire par ses dimensions et par son décor (qui remporta une médaille d'or) signé par le décorateur Édouard Bénédictus, tissé à la manufacture Aux Fabriques d'Aubusson.
À l'exception des tapis de Da Silva Bruhns, le goût général des ensembliers, largement diffusé par les revues, montre une prédilection pour un décor stylisé mais touffu, faisant toujours référence à l'univers végétal.
On connaît le peu de succès des tendances d'avant-garde lors de l'Exposition de 1925. Les tapis d'artistes proches du cubisme n'étaient pas présentés. Ils existaient cependant : en 1924, Pierre Chareau exposait au Salon des artistes décorateurs, un Salon où sa lampe La Religieuse était posée sur un tapis d'Eileen Gray. L'élite artistique et mondaine semble s'être passionnée[...]
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Écrit par
- Valérie GLOMET : adjointe à la Miission ameublement du Mobilier national, chargée du fonds textile d'Aubusson du XXème siècle au Mobilier national
- Michèle HENG : maître de conférences en histoire de l'art contemporain à l'université de Toulouse-II
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