TAPIS MODERNES ET CONTEMPORAINS
La crise de 1929 et les années 1930
La crise financière de 1929 eut des conséquences dramatiques sur les industries de luxe. L'État maintint les commandes aux Manufactures nationales, mais la situation des ateliers de la Marche devint critique : Lauer et Leleu firent réaliser leurs tapis à Cogolin, où le tissage par des artisans arméniens venus de Turquie revenait moins cher. On ne compte plus dans la presse des années 1930 les protestations des parlementaires de la Creuse, la plus virulente passe d'armes concernant la commande des tapis du Normandie attribuée en 1935 aux ateliers de Cogolin. Les grands paquebots, en particulier ceux qui exploitaient les lignes de l'Atlantique nord, représentaient en effet, depuis la fin du xixe siècle, le marché le plus convoité aussi bien pour les tapis que pour le mobilier en tapisserie. Ils constituaient la vitrine des industries de luxe françaises, fortement subventionnées par le gouvernement. À partir de 1929, pour lutter contre le chômage et le marasme économique, la mise en chantier (L'Atlantique) ou le réaménagement (L'Île-de-France) des paquebots se multiplièrent. Les grands noms d'ensembliers-décorateurs comme Ruhlmann, Leleu ou La Compagnie des arts français se partagèrent l'essentiel des commandes de tapis, omniprésents dans le décor de ces palaces flottants. Ces noms étaient les garants du bon goût et de la tradition française représentés par la Société des artistes décorateurs.
On a parlé, pour la période 1929-1939, d'un retour à l'ordre ou d'un nouveau classicisme, ce qui se vérifie dans les tapis d'une nouvelle génération de créateurs. André Arbus, un des triomphateurs de l'Exposition internationale des arts et techniques de 1937, remit à l'honneur les cuirs et les enroulements chers à l'École de Fontainebleau au xvie siècle dans des compositions strictes et architecturées. Jacques Adnet, qui avait remplacé Süe et Mare à la tête de La Compagnie des arts français, adopta un style beaucoup moins fleuri que ses prédécesseurs. On peut constater la même tendance à un classicisme épuré chez Max Ingrand, Gilbert Poillerat, Jacques Quinet, Raymond Subes ou Paule Leleu (cette dernière signa ses tapis à partir de 1937). Il s'agissait le plus souvent de pièces de prestige, exécutées en savonneries, point noué ou tapis ras, destinées aux ambassades, aux palais nationaux, aux ministères ou à une clientèle privée fortunée.
À Aubusson, alors que la tentation était grande par temps de crise de se replier sur la copie d'ancien, une importante expérience de mécénat privé eut lieu. Marie Cuttoli épouse d'un sénateur-maire de Philippeville (Algérie), séduite par la beauté simple des tapis de Sétif, décida d'éditer un certain nombre d'artistes de ses amis. Sous la marque Myrbor, elle fit réaliser et commercialiser uniquement des tapis d'artistes, tels Arp, Chareau, Marcoussis, Léger, Lurçat, Laurens, Picasso, Miró. Ces tapis furent diffusés auprès d'un petit noyau d'amateurs éclairés. Marie Cuttoli devait d'ailleurs tenter la même expérience pour la tapisserie. Ce fut le premier contact des ateliers d'Aubusson avec la peinture d'avant-garde, entreprise qui se révéla par la suite très fructueuse.
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, le « grand goût français » s'incarnait dans André Arbus qui triompha en 1939 à l'Exposition universelle de New York. La guerre vint mettre en sommeil la création de tapis, excepté quelques réalisations ponctuelles pour des décorateurs comme Jansen ou La Compagnie des arts français.
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Écrit par
- Valérie GLOMET : adjointe à la Miission ameublement du Mobilier national, chargée du fonds textile d'Aubusson du XXème siècle au Mobilier national
- Michèle HENG : maître de conférences en histoire de l'art contemporain à l'université de Toulouse-II
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