TAPIS MODERNES ET CONTEMPORAINS
L'après-guerre et les années 1960
Contrairement à l'époque précédente, cette période entérina l'effacement progressif des tapis de décorateurs au profit des tapis d'artistes.
L'immédiat après-guerre fut surtout marqué par la renaissance de la tapisserie et le mouvement qui s'est cristallisé autour de Lurçat et de l'Association des peintres-cartonniers de tapisserie. Les peintres-cartonniers, à quelques exceptions près, se sont peu impliqués dans la création de tapis ; Picart le Doux travailla pour Leleu, Jacques Adnet sollicita Coutaud, mais il s'agit pour ces peintres d'une activité marginale. La manufacture Pinton de Felletin s'investit très activement dans le tissage des tapis ras, point noué, travaillant pour La Compagnie des arts français jusqu'à sa disparition en 1959, éditant Coutaud, mais aussi des cartons de Kasskoff pour Leleu.
Après la disparition progressive des grands ateliers marchois comme Hamot, Lauer ou Braquenié, la manufacture Pinton demeure l'un des rares établissements à maintenir l'ensemble des techniques du tapis. En effet, à partir du début des années 1950, les coûts de production français devinrent prohibitifs. Les maisons de décoration commencèrent à se désengager, comme le montre l'exemple de Leleu qui, après 1945, fit tisser à la Manufacture française de tapis d'art en Algérie et, après les troubles de 1960 en Algérie, fit réaliser une bonne partie de ses tapis en Inde.
Même les grandes maisons de décoration sombrèrent successivement. En 1959, Jacques Adnet, conscient du changement des mentalités, des besoins nouveaux de la clientèle et de l'inévitable industrialisation mit fin à l'activité de La Compagnie des arts français. Jansen, autre maison prestigieuse, fut absorbée par Leleu en 1970, cette fusion devant se solder par la fermeture de la firme Leleu en 1973. Arbus, qui fut le décorateur officiel des palais nationaux jusqu'au milieu des années 1950, vit également son étoile pâlir.
Les années 1960 furent marquées par la mode de la moquette et la montée du design international. Le fossé se creusa de plus en plus : pour les commandes du Mobilier national, les ateliers des Gobelins, Beauvais ou Lodève s'adressèrent à des artistes de second plan et le désintérêt de la clientèle privée se manifesta, au point que la présentation de création de tapis devint rarissime aux différents Salons des artistes décorateurs.
Jusqu'au début des années 1960, la politique des commandes d'État se montra fort frileuse, privilégiant des artistes bien en cour comme Charlemagne, Hossiasson, Creuzevault, Hillaire, Longobardi. En 1960, pour s'opposer à cette tendance dispendieuse, par souci d'abaissement des coûts et par volonté de démocratiser le tapis contemporain, certains peintres-cartonniers de tapisserie, Coutaud, Lurçat, Picart le Doux, Saint-Saëns, Maurice André, Wogensky, Prassinos, Matégot, donnèrent des cartons écrits (cartons réalisés à grandeur d'exécution) non plus en fonction du mur mais en privilégiant le sol. Ces cartons, confiés aux Établissements Saint-Frères, étaient destinés à des tissages mécaniques. La tentative fut vouée à l'échec, comme le furent celle de Marie Cuttoli en 1961 avec des tapis d'artistes au point noué d'après Arp, Klee, Laurens, Léger, Miró, Picasso, Calder, Ernst, Vieira da Silva, et celle de la Manufacture France Tapis, en 1962, qui présentait une série de tapis d'artistes au point noué à la main édités en série limitée d'après Debré, Gilioli, Singier, Mathieu, Vasarely. Le public, troublé par les différences de prix et de qualité, demeurait hésitant.
À partir du milieu des années 1960, on parla ironiquement « d'avant-garde tardive » quand le Mobilier national se montra disposé à faire tisser Sonia Delaunay et certains artistes[...]
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Écrit par
- Valérie GLOMET : adjointe à la Miission ameublement du Mobilier national, chargée du fonds textile d'Aubusson du XXème siècle au Mobilier national
- Michèle HENG : maître de conférences en histoire de l'art contemporain à l'université de Toulouse-II
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