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TAPISSERIE

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La tapisserie contemporaine

Le xixe siècle : les prémices du renouveau

La nouvelle répartition des fortunes et la crise que traversaient les métiers d'art depuis la tourmente révolutionnaire française entraînèrent la fermeture de la plupart des ateliers en Europe. Une modeste production se maintint en France, car Napoléon avait eu pour dessein de faire de la tapisserie le principal ornement des maisons impériales, à laquelle il faut ajouter la fabrication de garnitures de meubles et de tapis, qui contribua à sauver de la ruine les ateliers de Beauvais et d'Aubusson. Au cours de la seconde moitié du siècle, la tapisserie retrouva peu à peu le prestige dont elle avait joui au cours des périodes précédentes. En France, sous la IIIe République, la production fut abondante, la tapisserie retrouvait une noble place dans le décor des édifices publics. Le gouvernement et les administrations communales belges commandèrent des tapisseries aux ateliers Braquenié et Cie établis à Malines. En Angleterre, William Morris proposa à l'Église et à quelques riches amateurs des tapisseries exécutées dans la manufacture qu'il avait fondée à Merton Abbey. En Scandinavie et en Allemagne, des associations fortement attachées aux traditions de l'artisanat populaire œuvrèrent à la restauration de la fabrication de tapisserie.

Durant la première moitié du siècle, le recours à de médiocres cartons et surtout l'emploi de procédés techniques tendant à traduire en laine et soie les effets de la peinture entraînèrent la tapisserie dans une impasse, d'où s'efforcèrent de la sortir diverses tentatives faites dans plusieurs pays d'Europe. En France, Jules Guiffrey énonça, avant même d'être chargé de l'administration des Gobelins en 1893, les principes qui étaient nécessaires à la réalisation des tapisseries, dont l'abandon de la copie de tableau, la création de nouveaux modèles dans lesquels devait dominer l'élément décoratif, la simplification du modelé en appliquant l'ancien système de hachures, la réduction des couleurs au plus petit nombre d'éléments. Des cartons de Steinhel (Sainte Agnès), de Gustave Moreau (La Sirène et le Poète), de Georges Rochegrosse (La Conquête de l'Afrique) furent mis sur le métier pour susciter des « vocations » de cartonniers. En Angleterre, William Morris eut recours à des principes de tissage proches de ceux qui sont définis par l'administrateur français.

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Le retour à un style sévère, qui apparut dès le xviiie siècle dans des œuvres tissées dans l'atelier de Turin et à la manufacture des Gobelins, devint de règle au début du xixe siècle. À ces œuvres, d'un style néo-classique on ne peut plus mal adapté aux intentions décoratives de l'art de la tapisserie, succédèrent quelques ensembles « troubadour » plus heureux (tenture à la gloire de la monarchie française pour la salle du trône des Tuileries, d'après des modèles de Georges Rouget), puis des tapisseries marquées par l'historicisme (celles qui furent réalisées sous le second Empire pour décorer quatre salles de l'étage principal de l'Élysée). Le renouveau gothique qui s'opère au cours de la seconde moitié du siècle allait marquer l'art de la tapisserie. En France, des peintres officiels, tels que Jean-Paul Laurens (l'Histoire de Jeanne d'Arc, la Descente de tournoi) ou François Ehrmann (tenture pour la Bibliothèque nationale) donnèrent des modèles qui reflètent les recherches de la peinture de cette époque vers la simplification linéaire et vers une réduction des effets de perspective. Cependant, les tapisseries réalisées d'après ces cartons ne donnèrent pas les résultats escomptés, bien que les peintres se soient appliqués à mettre en pratique les recommandations de Guiffrey. En Angleterre, en revanche, les productions de Merton Abbey connurent un brillant succès durant le dernier quart du siècle. Morris essaya de retrouver ce qui faisait, selon lui, la valeur des œuvres du Moyen Âge. Il exécutait, avec son collaborateur Henry Dearle, les fonds des compositions, tandis qu'il demandait au peintre préraphaélite Burne-Jones les dessins des figures (l'Adoration des mages, les Angeli laudantes, la tenture du Sacré Graal) ; l'engouement pour ces tapisseries cessa cependant peu après la mort de Morris et de Burne-Jones. Avant même le début du xxe siècle, Paul-Élie Ranson et Aristide Maillol donnèrent, en France, des cartons d'un goût nouveau, de même que Gerhard Munthe et Frida Hansen dans les pays scandinaves ; en Allemagne, le Jugendstil s'intéressa à la tapisserie, annonçant déjà la voie de la « nouvelle tapisserie » des années 1960. Ce qu'il est convenu d'appeler la « renaissance » de la tapisserie, qui n'explosa au grand jour qu'un demi-siècle plus tard sous l'effet catalyseur d'un Jean Lurçat, était amorcé.

Le xxe siècle : « renouveau » et « rupture »

Dès le début du xxe siècle, la tapisserie fut associée au renouveau des arts décoratifs : elle trouva une place honorable dans les décors intérieurs conçus par la Compagnie des arts français et le groupe Jansen. Par ailleurs, des tentatives dignes d'intérêt pour renouveler l'art de la tapisserie prolongèrent les heureuses expériences menées à la fin du siècle précédent. Marius Martin, directeur de l'École des arts décoratifs d'Aubusson de 1917 à 1930, s'évertua à convaincre les artisans d'abandonner la copie de tableaux pour mettre en pratique les principes de tissage expressif définis au xixe siècle ; en Allemagne, les ateliers de Munich et de Nuremberg employèrent également cette méthode dans les années 1920, mais la tapisserie fut surtout considérée comme un art appliqué dans ce pays : les expériences du Bauhaus, à Weimar tout d'abord, puis à Dessau, s'attachèrent plus particulièrement à des recherches de formes, de couleurs et de matières (ces dernières, reprises ensuite en Suisse, aux Pays-Bas et aux États-Unis, annoncent déjà les expériences textiles des années 1960). Vers 1925-1930, Marie Cuttoli se comportant en mécène fit tisser des tableaux de quelques-uns des plus grands peintres vivants (Braque, Picasso, Dufy, Miró, Derain, Matisse...). Tirant les enseignements des expériences tentées depuis la seconde moitié du xixe siècle, les peintres, tels que Marc Saint-Saëns et Jean Picard Le Doux, se rassemblèrent autour de Jean Lurçat pour fonder en 1947 l'Association des peintres-cartonniers de tapisserie ; Denise Majorel, directrice de la galerie La Demeure, à Paris, joua un rôle majeur dans la diffusion de la tapisserie contemporaine.

La tapisserie était alors conçue comme étroitement liée à la surface du mur : toute perspective était interdite ; les tons employés devaient être francs et limités en nombre. Lurçat prôna l'usage du carton numéroté, ce que d'autres artistes récusèrent, car ce procédé d'élaboration, qui remplace les couleurs par des numéros, contraignait le licier à une exécution servile. En revanche, par les adaptations d'œuvres de Picasso, de Le Corbusier, d'Hajdu qu'il réalisa, Pierre Beaudouin illustra parfaitement le rôle d'interprète entre la maquette et l'œuvre finale qu'est le cartonnier. Le Corbusier s'intéressa à la place de la tapisserie dans le décor intérieur. La tapisserie prit donc un essor considérable au cours du siècle. L'action des peintres-cartonniers eut un écho en Belgique, où les peintres Edmond Dubrunfaut, Louis Deltour et Roger Somville créèrent le groupe Forces murales qui contribua également au renouveau du décor mural. En France, si Aubusson fut le lieu d'où démarra la « renaissance » de la tapisserie, les Gobelins et Beauvais ne cessèrent pas pour autant d'exister (les métiers de cette dernière, ayant été installés aux Gobelins après la Seconde Guerre mondiale, sont retournés à Beauvais au début des années 1990) ; des ateliers de moindre importance virent également le jour (Jacqueline de La Baume-Dürbach, Pierre Daquin...).

Pierre Alechinsky - crédits : Daniel Janin/ AFP

Pierre Alechinsky

Dès le début du siècle, Gustave Geoffroy, administrateur des Gobelins, avait tenté de renouveler les cartons. Puis Marcel Gromaire s'intéressa un temps à l'art de la tapisserie, au côté de Lurçat. Ce dernier donna le ton du renouveau en proposant des thèmes glorifiant la nature et l'homme (Chant du monde, musée de la Tapisserie et de Jean Lurçat, Angers). Parallèlement, l'art abstrait se nouait à la tapisserie grâce aux jeux des rythmes et des couleurs des compositions de Prassinos, Wogensky, Dewasne. Les grands artistes du siècle fournirent également des maquettes : Matisse (Polynésie), Picasso, Mathieu... ; Paul Foujino, Jean-Pierre Pincemin et François Rouan ont donné des modèles pour des tapisseries tissées aux Gobelins et à Beauvais à la fin des années 1980 et destinées à orner le nouveau ministère des Finances de Bercy construit par l'architecte Paul Chemetov.

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Toutefois, l'instauration de la biennale de Lausanne par les peintres-cartonniers dans les années 1960 donna naissance à la nouvelle tapisserie qui s'écarta avec audace des principes de conception et d'élaboration de la tapisserie traditionnelle. Des recherches de matières et de volumes caractérisent cet art nouveau dont les préoccupations relèvent du domaine des arts appliqués, voire de la sculpture. La nouvelle tapisserie s'éloigne encore de la tapisserie traditionnelle, car elle perd son caractère propre d'« habit du mur » et n'a plus à sa source une esquisse peinte ; ce dernier point avait été abandonné par les expériences du Bauhaus, puis par celles de la Polonaise Magdalena Abakanowicz. Sheila Hicks, qui compte parmi les créateurs les plus fertiles de cette nouvelle forme d'art, au développement cohérent et particulièrement bien représentée aux États-Unis et au Japon, tend toutefois à revenir vers des tissages plus traditionnels.

— Pascal-François BERTRAND

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