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TÀR (T. Field)

Une descente aux enfers

À l’image des deux précédents films de Field, Társ’impose effectivement comme une ardente dénonciation de la propensioncontemporaine de l’homo americanus à s’adonner à un égocentrisme sans limites. Lydia Tár, prisonnière d’un moi surdimensionné, dépourvue d’empathie et capable d’éliminer tous ceux qu’elle perçoit comme des « robots », est un personnage qui s’offre comme l’incarnation même de la réussite individuelle absolue, dévastatrice pour elle-même comme pour autrui. Le cinéaste va jusqu’à dresser un parallèle entre sa destinée et celle des grandes civilisations, qui, aveuglées par leur suprématie, ne purent, au cours des siècles, que décliner. Et c’est ainsi que Lydia, rejetée pour ses diverses fautes professionnelles, ne survivra qu’en dirigeant un petit orchestre thaïlandais, qui accompagne la projection du manga Monster Hunter devant un public déguisé. Image d’une chute confirmée par l’apparition du générique final, qui mentionne les noms des interprètes, traditionnellement présentés en début de film. Une interversion qui démythifie le pouvoir fascinant de toute forme de vedettariat et qui se réfère autant aux Évangiles (« Bien des premiers seront les derniers... » Marc, x, 31) qu’à Michael Haneke etDamien Chazelle, qui, à travers leurs personnages respectifs, avaient déjà, dans La Pianiste (2001) et Whiplash (2014), souligné la fin d’une époque, longtemps qualifiée de moderne et maintenant redevenue primitive. Un constat également entériné par l’ironique retour du « The End » d’antan à la toute fin du film.

Réalisé de main de maître, Tárprésente de nombreux plans-séquences qui troublent le spectateur par la juxtaposition de l’hyperréalisme des lieux (le Kulturpalast de Dresde), des sons (l’enregistrement live des répétitions de la Cinquième Symphonie) et de l’irrationalité de certains phénomènes récurrents : l’image répétée d’un labyrinthe ; les étranges bruits entendus par Lydia ; ses multiples traversées de tunnels. En outre, le film est sublimé non seulement par l’interprétation inspirée de Cate Blanchett, qui a su maîtriser aussi bien l’allemand, l’accent new-yorkais, que la pratique du piano et celle de la baguette en fonction de la battue synchrone des mesures, mais aussi par l’excellence des éclairages les plus neutres possible dus à Florian Hoffmeister, et par le montage parfaitement rythmé de Monika Willi (six films avec Haneke). Un film exécuté avec... maestria !

— Michel CIEUTAT

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Écrit par

  • : enseignant-chercheur retraité de l'université de Strasbourg

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