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CHEVTCHENKO TARASS GRIGORIEVITCH (1814-1861)

Poète « naïf » et révolutionnaire

Il veut donc une Ukraine indépendante. Il appelle sans relâche le peuple à s'unir, à lutter : « Levez-vous... Fraternisez... Brisez vos chaînes... Aiguisez la hache... » Ces expressions reviennent constamment. Il sait que la liberté n'est jamais octroyée, qu'elle doit être conquise par le peuple. Et ce peuple, il l'aime, c'est sa passion, son espoir. Mais il n'est pas sans clairvoyance à son égard, pas sans impatience non plus ; il va jusqu'à le traiter de lâche, d'imbécile, vautré qu'il est dans la mare de l'esclavage.

S'il hait tous les tyrans, c'est au tsar de Russie que va sa plus forte haine, pour lui sont ses plus violentes invectives. Il n'épargne pas non plus les seigneurs ukrainiens, plus attachés à leurs biens, à leurs privilèges qu'à leur pays. L'Église aussi est un ennemi. Elle est l'alliée des puissants, elle trompe le peuple. À l'égard de Dieu, les sentiments de Chevtchenko ne sont pas simples. Il refuse le dieu de l'Église ; son Dieu est plutôt celui de Hugo. Il est bon, mais comment laisse-t-il commettre de pareils crimes ? Est-il aveugle, ignorant, impuissant ? A-t-il partie liée avec les seigneurs ? En tout cas, il ne faut pas s'en remettre à lui, il faut agir.

Récits, évocations, appels à l'action, recommandations, confidences, les poèmes de Chevtchenko sont des rêves éveillés. Il n'y a pas plus rêveur que cet homme d'action. Est-ce lui qui rêve ? Est-ce l'Ukraine ? Est-ce le Dniepr ? On serait tenté de dire que cet homme rêve assez fort pour être la voix même de sa terre et de son peuple.

... Et de moi-même à moi si grande est la distance Que je ne comprends plus ce que dit l'innocence.

Ces vers d'Alfred de Vigny sont le négatif de Chevtchenko : de lui-même à lui, il n'y a pas de distance ; quel poète a plus d'« innocence » ? Pas de distance non plus entre son peuple et lui, entre lui et sa parole. Pas d'humour entre lui et lui ; de l'ironie, certes, mais à l'égard des puissants.

Il croit entièrement, sans la moindre réserve, en ce qu'il est, en ce qu'il pense. En ce sens, Chevtchenko est ce poète « naïf » dont rêvait Goethe. Chevtchenko rêvant son pays, son peuple et leur histoire, rêve dans un langage qui est en puissance le langage de son peuple, qui sera celui de son peuple. Le langage a la simplicité nécessaire à sa fonction. Il est frais et neuf. Il s'adapte au mouvement des poèmes, car ceux-ci sont pleins de mouvements ; leur allure varie, mais, le plus souvent, ils sont rapides. Il n'y a pas de temps à perdre. Il faut aller au but, le plus vite possible.

Un serf, un autodidacte, un kobzar. Un barde, donc primitif, naïf. Un poète très loin de nous, tellement différent... Est-ce bien sûr ? Est-ce toujours vrai ? Certes, Chevtchenko est marqué par son époque, son esthétique est celle de son temps. On craignait moins alors les longueurs, les répétitions. Ce qui peut nous paraître lieu commun avait alors besoin d'être proféré. Et si la pensée ne nous paraît pas toujours claire, n'oublions pas qu'il y avait la censure.

Reste le sauvage, le tendre Tarass, quand il est lui-même, et la voix qui vient de loin dans le temps, de sa terre incarnée en lui. Alors, l'abrupte poésie, cet accent rauque et impérieux, ces raccourcis, tout à coup cette ouverture sur des profondeurs qu'il est comme étonné d'entrevoir. Il y a sa fougue, son élan, il y a aussi dans les récits cette espèce d'incohérence qui tient des rêves, des cauchemars, qui est celle des très vieux poèmes épiques, où se manifeste quelque chose que la poésie moderne cherche à faire apparaître.

Le poème Testament est maintenant chanté par toute l'Ukraine, elle qui reconnaît en Chevtchenko son poète et[...]

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    ...L'écrivain le plus important – et indiscutablement la figure la plus significative dans le développement d'une conscience nationale ukrainienne moderne – fut Tarass Chevtchenko (1814-1861). En plus de son impact novateur sur le cours ultérieur de la littérature ukrainienne, son œuvre reflète une conception de...