Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

VESAAS TARJEI (1897-1970)

Un monde où les oiseaux savent parler aux cœurs simples — ils leur dictent de brûlants messages qu'ils impriment de leurs pattes menues dans la boue des fossés —, où les palais de glace transfigurent et, littéralement, enchantent la mort de petites filles saisies par la tempête de neige, où une caresse à la fois attentive et distraite le long du bras doré d'une grande jeune fille suffit à dissiper les angoisses des cœurs éperdus, un monde où tout se dit sans paroles, où ce qui compte reste, à coup sûr, inexprimé, un univers de gentillesse affligée par la méchanceté du sort, de fausse rudesse immanquablement dissipée sous les effets attendus de l'amour fort comme la mort — voilà ce que n'a cessé de dire Tarjei Vesaas, ce Norvégien encore trop méconnu en France et qui eût été tenu pour l'un des plus grands si une disparition brutale ne l'avait privé du prix Nobel qui lui était destiné l'année même où il mourut.

Il y a derrière lui toute la sève et la beauté immédiate de son Telemark natal avec ses couleurs d'automne et ses lacs irréels à force de pureté, toute la saveur aussi et le pittoresque dru de la société paysanne dont il n'a jamais voulu trahir ni les mœurs frustes, ni le lyrisme profond, ni même le parler chantant, ce nynorsk (néo-norvégien) auquel il aura, plus que tout autre, contribué à donner ses lettres de noblesse.

Sa vie est sans histoire, comme sa jeunesse. Il s'est imposé en 1928 avec Les Chevaux noirs, où, une bonne fois pour toutes, s'inscrit une oscillation caractéristique entre un réalisme très terrien d'un côté et la fascination de la légende, de l'aventure de l'autre. Pour la manière, elle est déjà fixée également : de grands symboles transparents, animés par des personnages, des décors ou des images choisis, permettent à tout coup d'échapper au strict cadre spatio-temporel et de décomposer, de recomposer le donné brut en harmoniques infinies.

Il s'y glisse pourtant une autre sorte de préoccupations, d'ordre psychologique sinon psychanalytique cette fois, à partir de la série de quatre romans (1930-1938), dont le principal est Le Voyage du père et qui mettent tous en scène un certain Klas Dyregodt, partagé entre la solitude, l'angoisse, la tentation du suicide — thème profond de toute l'œuvre, parfois orchestré avec une poignante intensité comme dans Les Oiseaux — et, de l'autre côté, la volonté de trouver un sens à cette vie.

Le Grand Jeu (1932) et À la maison, les femmes appellent (1935) marquent un intermède où, seules, dans une perspective hamsunienne, joie de vivre et paix bucolique s'expriment. Mais avec Le Germe (1940) et surtout La Maison dans les ténèbres (1944), qui se déroule aux temps les plus tragiques de l'occupation allemande, les forces du mal font de nouveau violemment irruption. Dès lors, apparaît en pleine lumière la préoccupation essentielle de Vesaas, qui a trait à la responsabilité. Dans le jeu dément des forces de destruction, des tortures massives, de la symphonie en mort majeure qu'interprète dérisoirement notre temps, quelle est notre part de responsabilité et comment pouvons-nous lucidement redresser la balance de manière à refuser la défaite, la vengeance, la colère, la peur et le dégoût qui seraient notre seule raison d'accepter de vivre ? La faute que nous portons plus ou moins consciemment, comment la dépasser, l'expier ? La Blancherie (1946), La Tour (1948), Le Signal (1950) et Nuit de printemps (1954) proposent divers éléments de réponse où le respect de la nature tient toujours une place prépondérante.

Mais la voix atteint ses sommets avec la série de chefs-d'œuvre que sont les incomparables Oiseaux (1957), L'Incendie (1961) et Le Château de glace (1963). Là, la fusion, la collusion entre rêve et réalité sont si parfaites,[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Autres références

  • L'INCENDIE, Tarjei Vesaas - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 394 mots

    L'œuvre de Tarjei Vesaas (1897-1970), l'un des plus grands écrivains norvégiens, est encore mal connue chez nous. Si Vesaas a voyagé, notamment en Allemagne et en Autriche, il est demeuré lié, jusque dans le choix de ses décors et de ses personnages, au Telemark, la région qui l'a vu naître et...

  • INTÉRIEUR (M. Maeterlinck)

    • Écrit par
    • 974 mots
    • 1 média

    Après avoir fait connaître de nombreux auteurs contemporains, de Marguerite Duras à Edward Bond, Harold Pinter ou Peter Handke, Claude Régy trouve en 1985, à travers sa rencontre avec Maurice Maeterlinck (1862-1949), matière à nourrir et développer sa recherche théâtrale. Elle se nourrit surtout...

  • NORVÈGE

    • Écrit par , , , , et
    • 24 666 mots
    • 24 médias
    ...homme à commettre un crime (par exemple En flyktningkryssersittspor, 1933, Un fuyard croise sa trace). En revanche, l'inspiration du romancier Tarjei Vesaas (1897-1970) semble purement norvégienne. S'il fait le procès du monde moderne, c'est à travers un long chant épique consacré à son Telemark...