TAROT
Le tarot conquérant
Le xviiie siècle est probablement l'âge d'or du tarot en Europe. Le jeu se répand alors dans toute l'Italie sous la forme du Minchiate, un énorme tarot florentin à 97 cartes (41 atouts !) et aux règles assez alambiquées. Il refait son apparition en Piémont et en Lombardie où on l'avait quelque peu délaissé. On le suit jusqu'en Sicile d'un côté, jusqu'en Belgique de l'autre. En France, si nombreux sont les tarots du même modèle dus à des cartiers marseillais que l'on parle à leur propos de « tarot de Marseille ». Celui-ci représente un type assez stable, qui paraît s'être cristallisé d'abord à Milan avant de se parer de quelques variantes une fois acclimaté en France, sans doute dès le xvie siècle. Si le tarot de Marseille n'est pas le seul modèle diffusé en France, comme en témoignent quelques rarissimes exemples du xviie siècle, curieusement tous faits à Paris, il est de loin le mieux représenté, notamment au xviiie siècle.
Mais ce siècle est aussi marqué par l'introduction du tarot dans les pays de langue allemande, qui l'ont probablement reçu de France via l'Alsace dès la fin du xviie siècle. On ne sait toutefois ce qui a poussé les cartiers d'outre-Rhin qui fabriquaient des jeux de tarot vers 1740 à abandonner le modèle italien. Il est probable que l'arrivée tardive de ces cartes étranges a quelque peu gêné les joueurs germanophones. Très tôt le choix s'est fait des couleurs françaises – pique, carreau, cœur, trèfle –, plus lisibles et plus familières. On connaît toutefois des modèles de transition qui mêlent couleurs italiennes et atouts décorés d'animaux, signe que ce qui gênait peut-être le plus les joueurs germaniques était le lourd symbolisme et l'irrespect flagrant des vieilles allégories latines. Toujours est-il qu'après les années 1800, les Allemands n'eurent plus entre les mains que des tarots à enseignes françaises et des atouts totalement profanes (animaux ou scènes de chasse, puis paysages exotiques, costumes folkloriques, images de la vie politique ou militaire, vues de grandes villes, scènes de genre, etc.).
Cette mutation graphique du tarot, qui – précisons-le – n'affecta en rien les règles du jeu, lui ouvrit les portes de l'Europe du Nord : la Belgique, les Pays-Bas, et jusqu'au Danemark, où le jeu se pratique encore un peu. De l'autre côté, l'Empire austro-hongrois accueillait le tarot. Non seulement l'Autriche, mais les pays tchèque et slovaque et la Hongrie lui sont restées fidèles, sans oublier la Slovénie. Curieusement, en dépit de ces changements, certains termes italiens ont surnagé en allemand : ainsi le 1 d'atout s'appelle Pagat (de bagatto) et le 21 est parfois devenu der Mond (« la lune » !) par analogie de son avec il Mondo... Le « petit au bout » s'y nomme « Pagat ultimo ».
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Écrit par
- Thierry DEPAULIS : licencié ès lettres, ingénieur du Conservatoire national des arts et métiers, historien du jeu
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