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TAROT

Le tarot divinatoire et occultiste

Mais le xviiie siècle voit une autre mutation se produire : c'est en France, pôle de rayonnement du jeu, exportant ses productions même en Italie que prend naissance une tradition ésotérique aujourd'hui largement diffusée, notamment à travers la cartomancie. La publication, en 1781, du huitième volume du Monde primitif d'Antoine Court de Gébelin (1725-1784) en donne le coup d'envoi : à la recherche des signes de son « monde primitif », Court de Gébelin s'était penché sur les allégories du tarot, celui connu de nos jours sous le nom de « tarot de Marseille ». Son texte est un long commentaire des 22 atouts, accompagné de reproductions plutôt maladroites. C'est ainsi que le Pendu se retrouva sur ses pieds et fut soupçonné d'être la Prudence. Marqué par l'égyptomanie ambiante que diffusaient les cercles maçonniques auxquels il appartenait, Court de Gébelin vit dans ces images un livre « égyptien », le Livre de Thot. Deux ans plus tard, un cartomancien du nom d'Etteilla (Jean-Baptiste Alliette le jeune, 1738-1791) se réclamait de Court de Gébelin pour proposer sa méthode de divination par le tarot. Il alla même jusqu'à créer un modèle spécial, afin de « rétablir les hiéroglyphes » déformés par les cartiers « ignorants ». Le tarot divinatoire faisait ainsi son entrée dans la tradition ésotérique occidentale.

À partir du milieu du xixe siècle, toutes ces théories vont se cristalliser et donner ainsi naissance à un nouveau courant d'interprétation, plus franchement tourné vers l'occultisme, qui prétend donner au tarot une valeur ésotérique et initiatique. Alphonse-Louis Constant (1810-1875), plus connu sous le nom « cabalistique » d'Éliphas Lévi, fut, en 1856, avec Dogme et rituel de la haute magie, le promoteur de cette philosophie. À sa suite, de nombreux auteurs reprirent ses théories et celles de Court de Gébelin. C'est à Paul Christian (Jean-Baptiste Pitois, 1811-1877) que nous devons l'emploi des termes lames et arcanes, devenus classiques dans la littérature ésotérique pour désigner les cartes de tarot. Le mouvement culmine dans les dernières années du xixe siècle avec Papus (Gérard Encausse, 1865-1916), auteur du Tarot des Bohémiens (Paris, 1889) et de nombreux autres ouvrages, animateur infatigable d'ordres paramaçonniques et de sociétés à peine secrètes qu'il fondait les uns après les autres. C'est à Oswald Wirth que l'on doit la première tentative pour concevoir et éditer un tarot spécifiquement ésotérique : reprenant l'idée d'Etteilla, Wirth dessina en 1889 une série de 22 « arcanes majeurs » fortement inspirés du tarot de Marseille, qui parurent en même temps dans le livre de Papus. Ce fut le point de départ d'une tradition graphique aujourd'hui fort prolifique et largement reprise outre-Atlantique.

Pourtant, la partie était loin d'être gagnée : le tarot n'avait jusque-là franchi ni les Pyrénées ni la Manche. Ce n'est qu'à la fin du xixe siècle que ces cartes mystérieuses rencontrèrent quelque écho en Angleterre. En 1886 paraît à Londres une sélection de textes d'Éliphas Lévi traduits et présentés par A. E. Waite. Jusque-là inconnu, le tarot, dans sa version occultiste, reçut un accueil favorable des quelques sociétés plus ou moins rosicruciennes (Societas Rosicruciana In Anglia, Hermetic Brotherhood of Luxor, etc.) qui venaient de se former. Mais le mouvement prit une ampleur sans précédent avec la création de la Hermetic Order of the Golden Dawn, fondée en 1887 par William Wynn Westcott (1848-1925), Samuel Lidell Mathers, dit MacGregor Mathers (1854-1918), et William R. Woodman (mort en 1891). En 1888, Mathers fait paraître le premier traité anglais consacré au tarot : The Tarot : its Occult[...]

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Écrit par

  • : licencié ès lettres, ingénieur du Conservatoire national des arts et métiers, historien du jeu

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