TAXINOMIE ou TAXONOMIE NUMÉRIQUE
Michel Adanson (1727-1806) a été le précurseur génial de la taxinomie numérique. Incompris en son siècle, réfractaire aux axiomes linnéens, Adanson manifesta déjà le besoin d'évaluer quantitativement, de façon précise, reproductible, les différences ou les ressemblances, et de substituer à des évaluations demeurées floues et subjectives des nombres comparables et classables.
Si l'on veut bien se reporter aux diagrammes de la biométrie, par lesquels on représente dans des axes de coordonnées la variation des caractères au sein d'un groupe polymorphe (par exemple, longueur de la corolle, rapport entre longueur et largeur des feuilles), on comprendra aisément le principe élémentaire de la taxinomie numérique : dans un diagramme à deux dimensions représentant deux caractères, les objets étudiés se répartissent selon divers nuages de points susceptibles d'étude statistique (définition d'un centre et des limites du nuage). La « différence » entre chacun des nuages peut être estimée par la distance séparant leurs centres, distance géométriquement tangible et aisément calculée :
où xa, ya, xb, yb sont les coordonnées des centres respectifs. Si l'on admet que la même représentation est applicable à n caractères dans un espace à n dimensions, et que des caractères non mesurables (présence-absence) sont susceptibles d'être intégrés (sous réserve que les valeurs intermédiaires manquent), on imagine sans peine que les taxons puissent s'ordonner en nuages dans cet hyperespace (où le temps peut être adjoint comme n + 1-ième dimension) et qu'entre eux puissent se calculer des distances taxinomiques données par la relation :
(le correctif 1/n pallie l'effet du nombre de caractères employés).
Le calcul de la distance taxinomique est souvent remplacé par celui d'autres coefficients dits de ressemblance, de divergence, de corrélation, etc. Sans doute leur trop grand nombre et le manque d'une formule ralliant tous les suffrages constituent-ils un point faible de la méthode.
Les évaluations de ces distances ou de ces coefficients ne réclament pas de calculs très complexes ; mais le nombre de calculs élémentaires croît comme le carré du nombre de taxons comparés ; comme la méthode exige observation et utilisation de caractères nombreux (plusieurs dizaines au moins), son essor récent doit tout à l'apparition des calculatrices électroniques, qui rendent le travail humainement possible.
Cela est encore plus vrai pour une autre méthode mathématique utilisée en taxinomie numérique, qui est une application de l'analyse factorielle. Cette fois, les caractères eux-mêmes, et non plus les taxons, sont étudiés et leurs corrélations mutuelles au sein d'un groupe donné sont calculées. Le principe de cette analyse, trop complexe pour être exposé ici, consiste à rechercher les groupes de caractères responsables de la plus grande fraction de la variation observée, c'est-à-dire de la classification à établir. Les groupes de caractères se classent ainsi par ordre d'importance taxinomique, et l'on retrouve, mais a posteriori, la fameuse hiérarchie des caractères, qui ne découle pas d'un principe abstrait, mais résulte simplement des ségrégations successives de caractères au cours des processus de l'évolution.
Considérés a priori comme de poids égal, les caractères doivent-ils, une fois leurs corrélations établies par le calcul, faire l'objet d'une pondération a posteriori, tenant compte de ces corrélations et attribuant un poids supérieur aux caractères plus constamment liés ? La question reste ouverte : si deux caractères vont de pair, ce peut être l'indice d'une homogénéité de nature phylétique, une longue évolution ayant isolé un groupe que ces caractères invariants caractérisent bien ; mais cela peut indiquer aussi que l'observateur a noté, sous deux aspects[...]
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Écrit par
- Jean RAYNAL : ancien assistant au Muséum national d'histoire naturelle
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