TCHÉCOSLOVAQUIE
La démocratie retrouvée
Mais, autant que l'effet Gorbatchev, c'est le réveil de la société qui, vingt ans après 1968, a permis le bouleversement du paysage politique tchécoslovaque. La dissidence n'était plus l'apanage d'intellectuels coupés de la société. La série de manifestations qui a précédé la chute du régime en a apporté la preuve : le 21 août 1988 (anniversaire de l'invasion soviétique) ; le 28 octobre (anniversaire de la fondation de l'État tchécoslovaque en 1918) ; le 10 décembre (quarantième anniversaire de la Déclaration des droits de l'homme) ; le 16 janvier 1989 (anniversaire de la mort de Jan Palach) ; les 21 août et 28 octobre à nouveau ; enfin, le 17 novembre 1989 (anniversaire du soulèvement universitaire antinazi de 1939). Les manifestations seront quasi permanentes à partir de cette date et ce jusqu'à l'élection de Václav Havel à la présidence de la République le 29 décembre 1989, par une Assemblée fédérale à 85 p. 100 communiste. Le mouvement qui a commencé à Prague le 17 novembre 1989 a reçu le nom de « révolution de velours ».
L'appui massif de la population permit ainsi à la dissidence et à ceux qui aspiraient aux réformes de se constituer en formations d'opposition : le Forum civique (Ob̌canský Forum, O.F.) tchèque et son homologue slovaque, le Public contre la violence (Verejnost proti násilí, V.P.N.). L'espoir d'une troisième voie, le rêve d'un « socialisme réformé » comme le préconisait à nouveau Alexander Dubček bercèrent cette nouvelle majorité qui remporta 87 sièges sur les 150 de la nouvelle Chambre du peuple le 10 juin 1990, le Parti communiste étant en deuxième position avec 24 sièges et 13, 6 p. 100 des voix, au niveau de son score dans l'entre-deux guerres. Mais les dissensions quant au rythme des réformes économiques, à l'ampleur nécessaire de l'épuration ou aux réponses constitutionnelles à apporter à la question slovaque finirent par disloquer le mouvement. Au printemps de 1991, le Forum civique se divise entre le Parti démocratique civique (O.D.S.), libéral et partisan d'une privatisation rapide de l'économie, avec à sa tête Václav Klaus, alors ministre fédéral des Finances, et le Mouvement civique, où se retrouve une grande partie des anciens dissidents. En Slovaquie, Vladimir Měciar quitte Public contre la violence et fonde le Mouvement pour une Slovaquie démocratique (H.Z.D.S.), séparatiste et populiste. Aux élections de juin 1992, l'O.D.S. remporte en Bohême et en Moravie 33,9 p. 100 des suffrages, et le H.Z.D.S. 33,53 p. 100 en Slovaquie. Les autres partis politiques importants sont l'O.D.A. (Alliance démocratique civique), petit parti libéral allié de l'O.D.S., la Démocratie populaire chrétienne héritière du parti de Mgr ̌Sramek avantguerre, la social-démocratie refondée en novembre 1989, et le Parti communiste qui, contrairement à ce qui se passe en Hongrie et en Pologne, ne se réforme pas. L'O.D.S. se présente comme le parti de la rupture avec le passé communiste, économiquement et symboliquement. En octobre 1991, une première loi sur les « lustrations », c'est-à-dire l'épuration des collaborateurs de la police secrète dans la haute fonction publique et à l'université, est votée. Des listes « sauvages » d'agents et de confidents sont publiées sans autorisation dans le journal d'un ancien dissident, membre de l'underground culturel et opposant à Havel. Un des problèmes cruciaux de la transition économique est l'absence de capital et de capitalisation. En janvier 1991, la grande majorité des prix intérieurs sont libérés, le monopole d'État du commerce extérieur est aboli. En 1992, Václav Klaus lance une opération massive de privatisation des petites et moyennes entreprises par coupons, que tous les citoyens peuvent acquérir en passant par des[...]
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Écrit par
- Marie-Elizabeth DUCREUX : directrice de recherche au C.N.R.S.
- Michel LARAN : maître de recherche au C.N.R.S.
- Jacques RUPNIK : directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques
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