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AÏTMATOV TCHINGUIZ (1928-2008)

De nationalité kirghize, petit-fils de berger nomade, Aïtmatov s'est fait le chantre de son pays avec ses montagnes, ses steppes et le lac Issyk-Koul. Ses œuvres sont imprégnées de folklore, de légendes kirghizes. Après une enfance difficile (son père est victime de la répression stalinienne, puis vient la guerre), il exerce la profession d'agronome, puis de journaliste, et ce n'est qu'en 1958 qu'il est découvert par le grand public avec Djamila. Cette nouvelle, ainsi que Le Premier Maître (Pervyj učitel', 1962), a pour thème le heurt entre les idées et la morale nouvelles et les anciennes traditions. Cependant, avec Adieu Goulsary (Proščaj Gul'sary, 1966), Aïtmatov passe au roman et, à travers les destins croisés d'un vieux berger communiste et de son cheval Goulsary, montre les effets du stalinisme et de la déstalinisation dans un village (aïl) des hauts plateaux kirghizes. Dans Il fut un blanc navire (Belyj parokhod, 1970), le passé, porteur des valeurs morales traditionnelles, est opposé à un présent déshumanisé qui provoque, dans une fin déchirante, le suicide du personnage central, un enfant nourri des légendes de ce passé.

Après quelques œuvres de moindre importance, Sultanmourat (Rannie žuravli, 1975) et Souris bleue donne-moi de l'eau (Pegij pes, beguščij kraem morja, 1977), Aïtmatov donne dans I dol'še veka dlitsja den' (Une journée plus longue qu'un siècle, 1980) une somme sur la place de l'homme dans la société, sur le stalinisme, sur les traditions du peuple des steppes dans la société soviétique et sur les dangers de la russification. Il y crée le mythe de l'homme privé de mémoire et pose, aux confins de la science-fiction, le problème du sort futur de l'humanité et de la Terre. Le présent est ainsi confronté, comme toujours chez Aïtmatov, à la civilisation ancestrale et à une société extraterrestre avec laquelle les hommes refusent, par protectionnisme planétaire, d'engager la moindre relation. L'auteur traite puissamment des conflits de civilisation caractéristiques d'une région isolée de l'U.R.S.S. et, au-delà, d'un devenir de l'espèce humaine sans doute aussi peu maîtrisable que celui du climat, de la nature ou de la vie animale, qui sont admirablement présents avec toute leur violence dans le roman. Enfin il renvoie dos à dos les deux super-puissances, l'U.R.S.S. et les États-Unis, incapables l'une comme l'autre de subordonner leurs intérêts aux intérêts supérieurs de l'humanité.

Aïtmatov associe à un statut d'officiel de la littérature (il a été député, prix Lénine, dirigeant de l'Union des écrivains, membre de comités de rédaction de revues) une très grande originalité et une indépendance d'esprit dans son œuvre. Très populaire, bilingue (il écrit ses dernières œuvres directement en russe), influencé par les classiques russes et influençant en retour la littérature soviétique, Aïtmatov accompagne à sa manière le processus qui va conduire à l'éclatement de l'U.R.S.S. en publiant, en 1986, Les Rêves de la louve (Plaha). Dans un univers déchiré et funeste, l'homme se trouve à la croisée des chemins : il lui faut choisir entre la déesse-louve, mère de toutes les cruautés, et la parole du Christ, qu'Aïtmatov tente d'adapter aux tourments de notre temps.

— Alexis BERELOWITCH

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, maître de conférences à l'université de Paris-Sorbonne

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