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TECHNIQUE

Technique et organisation sociale

La thèse marxiste

Platon, dans La République, retrace une genèse de la cité parallèle à la diversification et à la division des travaux ; et l'on a vu à juste titre dans une célèbre remarque d'Aristote (faisant de la non-existence d'esclaves mécaniques la condition de l'esclavage des hommes) une des premières formulations du matérialisme historique. Un siècle et demi après son apparition, et malgré toute la littérature qu'elle a suscitée, c'est la grande thèse de Marx qui domine encore aujourd'hui le sujet : l'état de la technique (des « forces productives ») à un moment donné détermine l'organisation de la société, car il détermine immédiatement les rapports de production, et médiatement l'organisation de l'économie d'abord, de l'ensemble des « superstructures » sociales ensuite ; le développement de la technique détermine les changements de cette organisation. Sans qu'on puisse réduire à cette thèse Marx en général, ou même Marx sur ce point particulier, on ne peut cacher qu'il l'a exprimée catégoriquement, fréquemment et clairement, qu'elle a été le thème central de la vulgate marxiste, qui fut elle-même composante essentielle des idées dominantes pendant presque tout le xxe siècle, enfin qu'elle est, de prime abord, suffisamment plausible pour permettre d'ordonner autour d'elle le débat sur la question.

La technique et la vie sociale

C'est une chose de dire qu'une technique, une organisation du travail, un type de rapport de production vont de pair avec un type de vie et d'organisation sociale d'ensemble ; c'en est une autre de parler de détermination de celui-ci par ceux-là. Au-delà de toute querelle sur la question de la causalité dans le domaine socio-historique, un prerequisit essentiel de toute idée de la détermination n'est pas ici rempli : la séparation des termes déterminants et déterminés. Il faudrait d'abord pouvoir isoler le « fait technique », d'une part, tel autre fait de la vie sociale, d'autre part, et les définir de manière univoque ; il faudrait ensuite pouvoir établir des relations bi-univoques entre les éléments de la première classe et ceux de la seconde. Ni l'une ni l'autre de ces possibilités ne sont données. La postulation de la première paraît être l'effet banal d'une projection socio-centrique (dans notre société, « faits » et « objets » techniques semblent bien distincts des autres réalités) et d'un glissement de sens, poussant à identifier fait technique et objet matériel qui lui correspond. Or cet objet n'est pas forcément, pour la majorité des cultures connues, « instrument » pur ; il est pris dans un réseau de significations dont l'efficacité productive n'est qu'un moment. Plus important, car plus spécifique : le fait technique ne peut absolument pas être réduit à l'objet. L'objet n'est rien comme objet technique hors de l'ensemble technique (Leroi-Gourhan) auquel il appartient. Il n'est rien non plus hors les dextérités corporelles et mentales (qui ne vont nullement de soi ni ne sont automatiquement induites par la simple existence de l'objet) qui en conditionnent l'utilisation ; l'outil comme tel, Leroi-Gourhan le dit bien (L'Homme et la matière), « n'est que le témoin de l'extériorisation d'un geste efficace ». Ensemble technique et dextérités peuvent tout aussi bien induire l'invention, ou l'emprunt d'un objet, qu'en modifier, parfois « régressivement », les modalités d'usage (les Esquimaux et les Lapons ont « réduit » à leur niveau technique les ciseaux à bois apportés par les Européens pour les intégrer dans leurs herminettes traditionnelles), ou en conditionner le rejet. Enfin, cet[...]

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