TELUGU ou TELOUGOU
Temps modernes et renouveau
L'impact occidental a, en Āndhra Pradesh, des résonances qui prouvent la vitalité des milieux littéraires au xixe siècle. Il joue son rôle de diffusion et de catalyse et suscite un intérêt nouveau pour l'héritage culturel indigène dont il entreprend l'étude (C. Brown). L'originalité de la réponse telugu, orchestrée par de nombreux cercles littéraires et répandue par des journaux souvent originaires de Madras, est frappante. Le secret en est peut-être l'affrontement dialectique particulièrement stimulant entre un renouveau classique d'une surprenante vitalité et l'agressivité révolutionnaire des novateurs, pour qui non seulement les esthétiques étrangères mais les idéologies sociales ou politiques sont de puissants ferments. Ainsi en poésie, la perfection formelle et la virtuosité (éprouvées dans les avadhana, extraordinaire performance publique d'improvisation) ont imposé les poètes jumeaux Tirupati Vēṅkaṭēśvarulu au public lettré jusque vers 1950, alors que, depuis le début du xxe siècle, un mouvement de lyrisme subjectif se développait en poèmes assez courts exprimant un sens nouveau de la nature et un mode de sensibilité inconnu des classiques (par exemple Rayaprolu Subha Rao, Kṛṣṇa Śastri) ; aux chants d'un artiste délicat comme Adavi Bapiraju répondent ceux de Nanduri Subba Rao en langage vulgaire ou paysan (Yeṅki Pāṭalu), qui ont fait scandale avant d'être sur toutes les lèvres ; en face d'un mouvement progressiste et surréaliste, illustré par « Sri Sri », Arudra et Kalaji, se dresse une réaction néoclassique.
En prose, la férule de Cinnaya Sūri (1809-1862), qui prêche d'exemple pour le style noble, impressionne encore le mouvement « telugu moderne » (1909-1920) de G. V. Ramamurti qui, pourtant, avec Gurazada Appa Roa, libère la langue littéraire. Chez un géant comme K. Vīrēśaliṅgam Pantulu (1847-1919) lui-même, qui innove dans tous les genres, c'est seulement peu à peu qu'à un respect inné pour la tradition des poètes classiques dont il rédige les Vies se surimpose enfin la nécessité d'une langue rénovée pour des sujets nouveaux, en lettres ou en sciences. Il écrit le premier roman telugu, Rājaśekhara caritram, avec un sens profond du terroir, suivi par Cilakamarti Lakṣmi Narasimham (Ramacandra vijayam, 1894), auteur aussi de nombreux romans historiques, et par une foule de romanciers, s'inspirant de thèmes sociaux ou historiques (Unnava Lakṣminarayana, Visvanatha Satyanarayana, Adivi Bapirazu, Noré Narasimba sastri). Tous les genres sont cultivés, y compris le livre pour enfants et le roman policier ; souvent l'auteur veut apporter un message social. La nouvelle est le genre le plus populaire, dans la lignée de Guruzada Appa Rao puis du groupe Sahiti Samiti (1919), animé par Sivasankara Sastri, puis avec un sens social aigu par Sri Sri, K. Kutumbarao. Citer G. V. Chalam ou Gopichand fait injustice à une centaine d'autres ! Padmaraju, qui atteint une audience internationale, est surtout connu par des pièces en un acte ; ce genre, presque aussi populaire que la nouvelle, tend à supplanter le drame qui, pour être apparu après 1860, n'a pas été moins prolifique (plus de mille cinq cents pièces recensées en un siècle !).
Les essais, historiques ou littéraires, et la critique aident les littérateurs telugu à prendre conscience de leur passé culturel et de leurs problèmes. La littérature d'aujourd'hui se caractérise en effet par un sens aigu de l'environnement social et de la nécessité de l'exprimer dans un langage plus moderne ; elle risque donc d'être souvent éphémère ; de fait, la critique n'a encore fait que des choix partisans, mais si, par sa luxuriance, la compétition est confuse, son âpreté même la garantit contre la médiocrité.[...]
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Écrit par
- François GROS : agrégé de l'Université, directeur de l'École française d'Extrême-Orient
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