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TEMPERA, technique picturale

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<it>L'Adoration des bergers</it>, Giorgione - crédits :  Bridgeman Images

L'Adoration des bergers, Giorgione

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Mot dont l'acception comporte une équivoque. Le terme italien signifie littéralement « tremper » ou « détremper » des pigments de couleur dans un liquide qui les véhiculera et les liera entre eux et au support. Dans les textes anciens, Cennini (Libro dell'arte) ou Vasari (Le Vite de' più eccellenti pittori scultori ed architetti), le verbe temperare est utilisé pour désigner toutes sortes de liants — de l'eau à l'huile. Mais on constate que le nom de tempera a parfois chez le même Vasari un sens plus restrictif. Il parle de dipignere a tempera, ovvero a uovo et de dipingere a olio, tout en utilisant le verbe temperare dans l'acception signalée ci-dessus.

On distingue habituellement (plus ou moins clairement) la détrempe — peinture à la colle — de la tempera — peinture à l'œuf ou parfois en émulsion (gouttes d'un liquide en suspension dans un liquide de toute autre nature par l'intermédiaire d'un corps émulsif, l'œuf en l'occurrence). D'où la différence notée parfois en Italie, entre tempera magra (colle à l'œuf) et tempera grassa (émulsion en général). À la limite, l'aquarelle et la gouache appartiennent donc à la famille très générale des détrempes dont la tempera est retenue historiquement comme une technique à base d'œuf et, d'une manière extensive (moderne), à base de résine synthétique (émulsions vinylique et acrylique, par exemple).

La technique de la tempera était connue dès l'Antiquité. Pline y fait allusion dans son Histoire naturelle (XXXV, xxvi) pour l'usage de certaines couleurs ; certains portraits du Fayoum ont été exécutés avec une tempera émulsive. Tous les textes connus du Moyen Âge s'y réfèrent et donnent des recettes plus ou moins complexes à base d'œuf (M. P. Merrifield, Original Treatises on the Art of Painting, Londres, 1849, rééd. New York, 1967).

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Cire, résines, vernis de toute sorte, huile ont été assez souvent associés à l'œuf en émulsion. Retenons toutefois les combinaisons les plus simples, utilisées en Italie surtout. Cennini s'en est fait l'écho dans son chapitre lxxii. Dans la première recette, on mélange l'œuf entier avec de l'eau et du lait de figue (émulsion de résine, cire et gomme dont l'effet est de retarder l'action siccative), recette déjà notée par Pline (XXXIII, lxiii) comme l'a remarqué Franco Brunello dans la réédition de l'œuvre de Cennini (Vicence, 1971) ; la deuxième recette est celle de la tempera « universelle » : le jaune d'œuf est utilisé pour tout support (mur, panneau, fer et toile) avec toutefois certaines restrictions car l'œuf fait « verdir » le bleu.

Ces recettes furent très largement divulguées avec de légères variantes pour éviter les effets de pourrissement (peinture a putrido des anciens textes) ou pour diminuer l'effet graisseux de l'œuf par l'ajout de gouttes d'acide acétique (R. J. Gettens et G. L. Stout, Painting Materials. A Short Encyclopedia, 2e éd., New York, 1966).

Comme l'ont bien remarqué K. Wehlte (Ei-Tempera und ihre Anwendungsarten, Dresde, 1931) et D. V. Thompson (The Practice of Tempera Painting, 2e éd., New York, 1962), la technique de la tempera exige un travail précis, assez méticuleux. La définition dessinée de la forme guide le pinceau dont la tenue se rapproche de celle du crayon ou du fusain : le « remplissage » coloré de la surface se faisant par un patient travail de longues touches, par des superpositions, qui donnent à l'œuvre un aspect plus bidimensionnel que dans la peinture à l'huile, et qui expliquent sans doute la difficulté de traiter a tempera de grandes surfaces. Il faut en tout cas éviter — à cause de l'œuf — une trop grande fluidité ou une trop grande épaisseur (empâtements boueux causés par la superposition de couleurs encore humides) et tenir compte de la modification optique de la couleur qui devient plus claire en séchant. La clarté relative de la tempera par rapport à l'huile en fait un mode d'expression très spécifique, bien que dès le Moyen Âge on se soit efforcé de préserver sa matière fragile en la « vernissant » avec du blanc d'œuf par exemple, ce qui lui conférait aussi un certain lustre. À cause de l'opacité de son médium, la lumière, en effet, ne pénètre que relativement peu la tempera engendrant ainsi une réflexion « blanchâtre » qui adoucit et « mate » les tons. De plus, la tension de l'eau ne permet guère les transitions incertaines entre surfaces voisines. Les artistes ont cherché des combinaisons émulsives plus riches qui permettraient de rendre les nuances de l'ombre. Il faut souligner que le temps de séchage de l'œuf et celui de l'évaporation de l'eau demandent une décision qui interdit tout « repentir » en privilégiant la convention du beau métier au détriment de l'invention en cours d'exécution ; en cela, la tempera diffère de la peinture à l'huile.

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Utilisée sur des supports de papier, de bois, de toile ou sur un mur, la tempera exige dans ces trois derniers cas une préparation qui doit lui assurer une base isolante d'une grande netteté. Pour cela, on employait depuis l'Antiquité une préparation de gesso (plâtre mêlé à de la colle, avec parfois de la toile « noyée » à l'intérieur pour assurer la stabilité des lattes de bois). Gesso grosso (Cennini parle d'albâtre de Volterra) ou sottile (plâtre plus « étendu » à l'eau, très fin ; il est posé en assises très minces), cet enduit est constitué par des couches successives que l'on « poncera » bien, en le raclant pour le rendre plus lisse et en le purifiant (avec de l'urine parfois, comme le conseille Léonard !). La toile devra bien entendu être traitée avec un enduit beaucoup plus mince et plus souple qui mène à une technique un peu différente (encollage avec du blanc de zinc). Bien illustrée durant tout le Moyen Âge par la peinture sur panneau et sur mur (où elle complète la fresque), la pratique a tempera sera supplantée par la technique à l'huile. Les abstraits « géométriques » ou tout au moins les artistes qui s'attachent à la netteté et à la « planité » relative des formes y reviendront (Poliakoff). Mais on lui préfère en général les nouveaux types d'émulsions à base de résines synthétiques qui reprennent en grande partie les procédés des émulsions anciennes, sans employer l'œuf, sauf dans des combinaisons particulières.

— Jean RUDEL

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, docteur ès lettres et sciences humaines, professeur à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, peintre et écrivain

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