TEMPS ET RÉCIT, Paul Ricœur Fiche de lecture

Le temps raconté

Le troisième volume (quatrième et dernière partie) de Temps et Récit (1985) en offre le couronnement philosophique. L'enquête reprend l'aporie augustinienne entre temps vécu (temps du souvenir ou de l'attente) et temps mesuré – celui de la physique d'Aristote, qui, lui aussi, s'est demandé si « sans une âme, il y aurait ou non du temps »... Aporie reformulée par Husserl dans sa défense, contre Kant, d'un « temps intuitif » et prolongée par la polémique heideggérienne contre « le concept „vulgaire“ de temps ». Cette « discordance entre la perspective phénoménologique et la perspective cosmologique sur le temps », Ricœur prétend la dépasser précisément par l'apport de « la référence croisée de l'histoire et de la fiction », comme mise en question de « l'unicité du temps ». Accomplie aussi bien par l'historien que par le poète ou l'écrivain, « la refiguration du temps par le récit » ouvre la conscience à sa double dimension de faire et d'appartenir à l'histoire.

Cependant ce dépassement, en direction d'une « herméneutique de la conscience historique », ne peut s'effectuer que sous le signe d'une « médiation imparfaite » : le récit est certes « le gardien du temps, dans la mesure où il ne serait de temps pensé que raconté ». Mais le temps ne se laisse pas enfermer – ni maîtriser. Une tonalité élégiaque voile les dernières pages du livre, rejoignant le savoir immémorial du poème : à côté de l'épopée et du drame – les genres narratifs – le lyrisme fait droit à la plainte, « va droit au fondamental sans passer par l'art de raconter ». L'aveu final des « limites du récit, corrélatif de l'aveu du mystère du temps » pourrait ruiner tout l'effort antérieur et confiner à « l'obscurantisme ». Ricœur y voit au contraire un appel : à nouveau « l'exigence de penser plus et de dire autrement ». L'enquête reprendra avec Soi-même comme un autre (1990) puis La Mémoire, l'histoire, l'oubli (2000).