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TEMPS / MÉMOIRE (notions de base)

La mémoire construit le temps

Un peu comme le temps, la mémoire semble si aisée à comprendre qu’aucune définition n’en serait nécessaire. Mais que se cache-t-il derrière ce mot rempli de pièges ? Qu’est-ce que la mémoire ? La faculté de « stocker » des données ? Cette image nous est devenue familière, avec l’évocation des data emmagasinées dans de gigantesques fermes informatiques remplies de milliers d’ordinateurs. Ou bien, est-ce la faculté de se remémorer, autrement dit de faire réapparaître dans la conscience présente un souvenir enfoui ? Ou encore la faculté d’inscrire, quelque part dans l’esprit ou dans le cerveau, un moment vécu afin de pouvoir le faire ressurgir lorsque nous le déciderons ?

Henri Bergson (1859-1941) a été à la notion de mémoire ce qu’Augustin fut à celle de temps, et présenter ses thèses s’impose de la même manière. Bien avant la naissance de l’informatique, il a formellement contesté l’hypothèse selon laquelle la mémoire ne serait que la faculté d’enregistrer des données sur un « registre » (et donc aussi dans un ordinateur…). Nous avons bien entendu la possibilité d’apprendre un texte par cœur, de le « mémoriser ». Mais supposons que j’occupe un dimanche après-midi à apprendre par cœur un poème que je dois réciter en classe le lendemain. Sans m’en rendre compte, j’effectue alors deux opérations très distinctes. La première relève de la « mémoire-habitude » : il s’agit de rendre quasiment automatique la récitation du poème, de la même façon que je suis parvenu à rendre mécaniques quantité de gestes lors des apprentissages de mon enfance. Non seulement cet acte ne relève pas de la « mémoire » au sens le plus pur du terme, mais chacun a fait l’expérience de la gêne que peut occasionner celle-ci dans cette affaire : si, le lundi venu, au moment où je vais réciter mon poème, un souvenir de ce qui s’est passé le dimanche après-midi surgit dans ma conscience, il va perturber celle-ci et rendre médiocre ma performance.

Une autre expérience se déroule donc en ce dimanche après-midi, qui ne relève nullement de la volonté. Je me souviendrai très longtemps, et peut-être jusqu’à la fin de mes jours, des difficultés que j’ai eues à mémoriser ce poème, de la lassitude qui s’est emparée de moi à un moment donné, de la pause que j’ai effectuée pour écouter un air de musique qui m’est cher. Tout cela relève, nous dit Bergson dans son livre Matière et mémoire (1896), de la « mémoire pure ». Nos mots, répète Bergson, sont des « vêtements trop larges » qui identifient de façon erronée des réalités profondément différentes.

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Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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